Lundi 23 septembre dernier, Chloé Riban est allée assister, ou plutôt participer, à un spectacle programmé à l’ENS à Lyon : Don(a) Juan(e), par la compagnie brondillante Dynamythe, une œuvre issue du théâtre du public.

Par Chloé Riban :

“Il est 20 heures. Alors que le public se presse devant la salle, des comédiennes circulent entre les groupes de spectateurs. Les « Oranges libres » et les « Verts justes » nous demandent de choisir notre camp ! Une fois dans la salle, nous sommes séparé.e.s, par équipe. L’arbitre du match théâtral nous explique que nous devrons soutenir notre « champion.ne » voire marquer nous-mêmes des points lors de duels du public… Nous voilà projeté.e.s dans un monde où le théâtre se joue et se construit avec le public, en tant qu’art du public : « Nos œuvres partent de la réalité sociale, politique, quotidienne, telle qu’elle est, pour y créer les brèches d’autres possibles », lit-on dans le dossier de présentation.

La pièce, montée par la Compagnie Dynamythe (avec la participation de publics différents), reprend Dom Juan de Molière, en faisant du personnage principal une femme, un moyen choisi par la troupe pour redonner à cette œuvre sa valeur subversive. Don(a) Juan(e) prend ainsi la forme d’un théâtre-sport politique où deux visions du monde s’affrontent. Le comportement amoureux de Dona Juane incarne la liberté individuelle des Orange. Il vient questionner la norme sociale et la recherche d’harmonie et de solidarité entre les individu.e.s, prônée par les Verts. Des valeurs différentes, parfois antagonistes, s’expriment ainsi à travers les différents personnages, forcés de réagir à la critique radicale formulée par Dona Juane.

Tout au long du spectacle, le public est amené à intervenir dans la pièce, en tant que témoin et supporter, pour guider les personnages, discuter les problématiques soulevées par l’arbitre du match et apporter l’argument qui fera remporter son camp : doit-on prendre en considération autrui dans sa prise de décisions ? La recherche de justice est-elle la négation de la liberté individuelle ? Faut-il privilégier le changement ou la stabilité ?

Portée par une véritable énergie des comédien.ne.s et une grande originalité, la vocation de la pièce est de poser des questions, de générer une réflexion au sein du public : la compagnie cherche ainsi à faire ressortir les désaccords et refuse le « vivre ensemble » facile et politiquement correct. Le libertinage se présente de ce point de vue comme le symbole d’une vision individualiste du monde et une réflexion sur la liberté. Si l’opposition entre justice et liberté dans le contexte du couple ne relève pas toujours de l’évidence, la transformation de Dom Juan en personnage féminin serait un bon prétexte à une réflexion sur les relations entre les sexes et les inégalités qui les structurent.

Dans le même temps, le dispositif théâtral pourrait aller plus loin dans la logique du renversement des rôles. En effet, la nécessité de choisir son camp et notamment le recours à un mode compétitif constituent une modalité ambivalente : la compétition, valeur éminemment masculine dans notre société, à laquelle les garçons sont beaucoup plus socialisés que les filles, représente un mode de fonctionnement avec lequel chacun.e n’est pas forcément à l’aise ou familier.ère. En outre, la nécessaire participation du public peut venir se heurter à des socialisations là encore différenciées : donner son avis devant une assemblée d’inconnu.e.s peut être un frein à l’expression, notamment pour les femmes, dont la visibilité et la prise de parole dans l’espace public ne sont traditionnellement ni incitées, ni toujours valorisées…”