Copie d'écran du site internet de Théâtre à la Carte
Copie d’écran du site internet de Théâtre à la Carte

Depuis fin 2012, le Théâtre à la Carte propose aux entreprises un spectacle séduisant pour favoriser l’égalité entre les femmes et hommes en entreprise, qui témoigne d’une excellente connaissance de cette problématique. Un couple de managers commence, depuis l’entrée de leur fille sur le marché du travail, à s’interroger sur l’égalité professionnelle des femmes et des hommes. Une série de retours en arrière va les y encourager, provoqués par un opportun – et importun – personnage qui décrypte leurs parcours d’un œil très averti sur la création progressive des inégalités familiales domestiques et professionnelles, intimement imbriquées.

Pour gommer les idées reçues sur l’inné et l’acquis, le propos démarre par les dernières connaissances sur la plasticité du cerveau. Une mise au point est rapidement faite auprès du public : c’est l’expérience qui crée les capacités, le sexe n’ayant rien à voir avec les potentiels des personnes. Sont ensuite passées en revue les étapes classiques des inégalités progressivement construites au sein du couple avec la première promotion de Monsieur, qui donne l’occasion à Madame, au départ contrariée mais finalement résolue, d’envisager le retrait professionnel nécessaire à l’arrivée du premier enfant. Tout s’enchaîne alors : le retour du congé maternité et les difficultés qui s’ensuivent, concentrées sur Madame nouvellement mère. Demande de télétravail, horaires de réunion incompatibles avec les horaires familiaux, charge mentale nouvelle, tendance à vouloir tout maîtriser à la maison… Lorsque survient une possibilité de progression, son estime de soi lui fait défaut, contrairement à un de ses collègues qui s’y voit déjà malgré de moindres compétences… L’asymétrie des attentes sociales envers hommes et femmes est méthodiquement démontrée dans la pièce. C’est par exemple sur le plan familial, et pas sur le plan professionnel, qu’un homme n’ose pas assumer son engagement… car avouer à ses collègues qu’il va chercher sa fille à la danse, ce serait trop gênant ! Des stéréotypes variés amènent les responsables hiérarchiques à attribuer des caractéristiques particulières (« vous utiliserez votre empathie naturelle ») ou à penser à la place de leur employé.e.s – jusqu’à les promouvoir ou les discriminer ouvertement – du fait de caractéristiques supposées de leur sexe ou de leur maternité. La réalité des stratégies individuelles que déploient les personnes, femmes surtout, est très présente également dans cette création théâtrale. La négociation au sein du couple est ainsi évoquée comme une issue possible… mais incertaine, pour sortir des injonctions paradoxales dans lesquelles elles sont engluées – et qu’elles vivent finalement dans un profond sentiment d’isolement – dès lors qu’elles deviennent mères dans notre société. Ces stratégies sont-elles condamnées à rester individuelles ? Une ouverture apparaît dans le dernier temps du spectacle, grâce à une jeune génération qui ne cultive pas la même relation au travail que ses aîné.e.s… ni ne déclare le même attachement à la répartition traditionnelle sexuée des tâches domestiques et familiales.

Cette proposition du Théâtre à la carte, très riche en thématiques abordées, propose sans aucun doute de multiples entrées pour un débat utile dans le monde professionnel, en particulier dans les DRH, les milieux cadres, voire employé.e.s. Le parti-pris consistant à partir d’un couple permet de mettre en évidence l’imbrication entre vie privée et vie professionnelle, qui doit impérativement être reconnue pour agir sur les causes des inégalités. Cependant, il semble difficile de faire apparaître en si peu de temps la complexe réalité des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes dans toutes ses dimensions. Différents thèmes restent donc à mettre en lumière, comme certains critères de choix des emplois, différents pour les femmes et les hommes. Pour exemple, parce que les unes et les uns ne se projettent pas dans les mêmes rôles, la distance domicile travail importe plus aux femmes et le célibat géographique est quasiment exclusivement masculin… En outre, il serait utile de compléter le propos par l’évocation des milieux socio-économiques qui vivent – mal – des temps partiels subis et des emplois précaires, absents dans le scenario de H/F recherche égalité désespérément, mais très présents dans notre société, alors même que les personnages décrits – apparemment aisés – ont probablement recours à de multiples services (garde d’enfant, ménage… traditionnellement féminins) sans lesquels leurs stratégies de carrière seraient encore plus difficiles à concrétiser. Car une partie de la population française est employée dans des temps partiels plus ou moins subis par celles et ceux dont les vies sont organisées autour du travail, alors même qu’une redistribution des rôles et tâches au sein du couple et affirmée auprès des employeurs aurait pu constituer une alternative.

Et ainsi, à moins que la nouvelle génération ne trace effectivement une voie plus égalitaire au sein du foyer, et par conséquent au sein du travail, se creusent et se créent de nouvelles inégalités, ajoutées aux précédentes que les protagonistes de la pièce tentaient de réduire. Mais il faut bien commencer quelque part…

Par Violaine Dutrop-Voutsinos