Restitution du théâtre – forum  « Il suffit de se salir les mains… ou genre ! », organisé le 17 octobre 2013, dans le cadre de la Quinzaine de l’égalité en Rhône-Alpes, par Florence Françon et Violaine Dutrop-Voutsinos. Photos Le Désordre

Dans une ambiance feutrée, confortable et conviviale « comme à la maison », la Miete nous a accueilli.e.s le 17 octobre dernier, avec la Compagnie du Désordre (Maud Martin, Sabine Messina et Frédéric Couchoux), pour une soirée de théâtre-forum, que nous organisions dans le cadre de la Quinzaine de l’égalité en Rhône-Alpes 2013.

Le théâtre-forum est une pratique visant à développer les échanges entre les comédien.ne.s et les spectateur.rice.s à partir de situations pouvant poser question. Ainsi, après chaque saynète, il est suggéré au public d’analyser la situation mise en scène et de proposer des éléments de réponse ou simplement des interrogations face au problème soulevé. Les participant.e.s peuvent être invité.e.s à rejouer la scène, à la place d’un personnage déterminé, afin de présenter une alternative au scenario sensé susciter des réactions dans la salle, initialement privilégié par les comédien.ne.s.

L’atelier du 17 octobre était avant tout destiné aux professionnel.le.s de la jeunesse et de l’animation afin d’interroger leurs représentations sur l’ambition égalitaire de leurs pratiques professionnelles. Dans le public, une représentante des Francas, une comédienne, plusieurs professionnel.le.s de l’animation jeunesse et adultes, des parents, quelques membres d’EgaliGone et Marianne Le Roux, chargée de mission égalité F/H à la Région, partenaire financeur de l’événement, qui a présenté la quinzaine en début de soirée, puis a pris part aux débats et analyses parmi les autres participant.e.s. Une vingtaine de personnes intéressées par la thématique abordée, professionnelles ou non, a ainsi répondu présente pour échanger, voire intervenir dans chacune des saynètes jouées. Celles-ci ont été élaborées suite à une formation animée par EgaliGone à la demande de la compagnie de théâtre intitulée « Stéréotypes de sexe et animation jeunesse : savoirs utiles pour des intervenant.e.s jeunesse ». Cette formation abordait les notions-clés sur les stéréotypes et les inégalités, proposait un décryptage de situations vécues et de publicités, et présentait des savoirs-clés sur le thème « mixité, égalité dans l’animation jeunesse ». Ont été aussi partagés les apports de l’Enquête exploratoire menée sur le regard de professionnel.le.s de l’enfance et la petite enfance sur l’enfant sexué.e. sur le territoire de Bron (69). Au total, cinq pièces ont été présentées afin d’alimenter la réflexion sur une diversité de sujets relatifs aux relations femmes-hommes ou plus particulièrement aux problématiques pouvant émerger dans des accueils de loisirs.

La première scène représentait une situation courante de la vie, le sexisme ordinaire, à travers une pratique relevant du harcèlement de rue. Les débats en salle qui ont suivi ont démontré toute l’ambiguïté de telles situations : se limitent-elles à des tentatives de séduction et à un défaut de communication entre les femmes et les hommes ou sont-elles le signe d’une position dominante des hommes dans la société et notamment dans l’espace urbain qui tend à limiter l’investissement des femmes dans les lieux publics ? A travers les impressions des participant.e.s et l’apport d’informations supplémentaires et de restitutions d’enquêtes, c’est donc tout un pan de notre vécu quotidien qui a été interrogé concernant les relations femmes-hommes dans notre société, en questionnant nos schèmes de perceptions habituels. Cette scène visait à annoncer une des conséquences de l’éducation : les rapports inégalitaires dans l’espace public.

Puis, ce sont plus particulièrement des situations vécues par des professionnel.le.s de l’enfance qui ont été dépeintes.

Desordre-Forum1L’une d’elles faisait référence aux attentes exprimées par un.e adulte à l’égard d’une fille et d’un garçon mis en situation de concurrence dans d’un exercice de sécurité routière, réalisé à vélo, puis confronté.e.s tour à tour à un problème technique, le déraillement d’une roue. Alors que l’adulte remettra la roue sur le vélo de la petite fille sans aucune explication, celle-ci sera fournie au petit garçon afin qu’il réalise lui-même l’exercice et aide sa camarade. Comment accompagner ces enfants à réaliser l’exercice de façon neutre sans les enfermer dans des rôles et des capacités prédéterminés ? Comment éviter de les soumettre à des pressions quant à leurs performances respectives (la compétition, l’autonomie, la protection des filles puis l’évidente victoire pour le petit garçon, la discrétion, la propreté et la sollicitation des adultes en cas de besoin pour la petite fille) ? Comment accompagner chacun.e à résoudre son problème afin de garantir un développement égal de leur autonomie et de leurs compétences ? Comment leur transmettre un rapport au savoir équivalent, une envie d’apprendre et une capacité d’agir dans tous les domaines quel que soit leur sexe ? Autant de questions soulevées au cours des interactions dans la salle et rejouées par l’un des spectateurs.

Desordre-Forum2Ensuite, deux saynètes faisaient référence au choix des activités proposées dans des accueils de loisirs et à la façon dont elles peuvent être présentées aux enfants. Les garçons et les filles fréquentant les lieux seront-il.elle.s attirées de la même façon par des jeux intitulés « foot » ou « patinage » que par des loisirs présentés de façon plus neutre : « jeux de ballon extérieur » ou « patinoire ». Sur ce point, l’attitude des adultes encadrants joue évidemment un rôle fondamental : quelles réactions et quelles réflexions peuvent décourager ou au contraire inciter filles et garçons à investir tel ou tel jeu ? Comment associer les opportunités de personnalisation que présentent les différentes compétences des animateurs.trices et les perspectives qu’offre la polyvalence pour montrer la diversité des possibles quel que soit son sexe ? Comment penser la mixité des structures d’accueil ? Puis, comment s’emparer des problématiques d’un territoire donné afin d’encourager la fréquentation égale des filles et des garçons dans un centre social ? Les filles sont en effet moins représentées dans les pratiques extra-scolaires, notamment chez les adolescent.e.s et chez les milieux sociaux populaires, alors comment les attirer ? Imaginer des activités très sex-typées (comme la couture) censées convenir à leurs goûts et aux attentes de leurs parents peut représenter une solution efficace pour certaines équipes d’animation, mais qu’est-ce cela implique en termes d’accès égalitaire aux loisirs, et donc aux compétences développées puis aux pratiques quotidiennes, pour les filles et les garçons ? Mais pour que ces questions trouvent une réponse collective au sens des équipes, encore faut-il que le sujet soit abordé, que ce ne soit pas un non-dit, un impensé dans les structures.

Enfin, une dernière interrogation a été soulevée au cours de cette soirée : le regard des parents sur les activités proposées aux enfants et sur le sexe et le genre des personnes de l’équipe d’animation recrutée. Comment réagir face à une démonstration de crainte, voire d’éviction, de certains parents vis-à-vis de loisirs sujets à des catégorisations sociales genrées ? Le lien avec l’homophobie a notamment été établi dans cette saynète et il a finalement été démontré la nécessité de revendiquer, avant tout, les compétences professionnelles de l’équipe face aux parents en insistant sur l’importance accordé au bien-être et au développement des enfants et sur les apports pédagogiques des activités choisies, bien qu’il soit difficile de contenir ses affects personnels face à des telles réactions.

Ces quelques heures de débat entre une compagnie de théâtre sensibilisée puis formée à la thématique, et qui a partagé avec le public son avancée sur le sujet, des spectateur.rice.s plus ou moins informé.e.s, mais du moins intéressé.e.s par les questions soulevées et des membres de l’Institut EgaliGone pouvant apporter un regard différent grâce aux « lunettes du genre » ont ainsi permis d’établir des échanges très riches dans le public et avec les comédien.ne.s, signes d’une prise de recul notable par rapport aux situations dépeintes. Cette soirée très agréable a donc pu démontrer, encore une fois, les difficultés de s’éloigner des représentations habituelles, mais elle a surtout permis d’alimenter la réflexion collective sur des sujets peu traités dans la vie quotidienne, ce qui pourra être bénéfique pour chacun.e de nous.

Parce que le théâtre est un formidable vecteur de changement, L’institut EgaliGone a pour l’instant été partenaire du Lien théâtre, a participé à une soirée en collaboration avec Petits Pas pour l’Homme, démarre un projet de recensement de ressources théâtrales pour l’égalité avec le collectif des Femmes de l’Âtre, et a des contacts avec de nombreuses compagnies qui oeuvrent déjà sur le sujet. Lorsque Maud Martin, de la compagnie du Désordre, a contacté EgaliGone il y a presque un an pour initier une démarche en collaboration vis-à-vis de l’animation jeunesse, incluant une formation des comédien.ne.s, nous avons imaginé de mettre en lien la proposition de la compagnie et l’enquête que nous n’avions pas encore valorisée. Nous avons été heureux-ses que cette modalité d’animation ait pu être mise en place et lui avons demandé de partager avec nous son regard sur ce début d’aventure commune.

EgaliGone : Comment est née votre envie de travailler sur ce sujet ?

Maud Martin : Le Désordre a monté il y a quelques années un spectacle intitulé « Histoire(s) de femme(s) ». Il retraçait à partir de témoignages collectés auprès de femmes âgées de 15 à 95 ans l’histoire et le vécu des femmes au 20ème siècle. Nous nous interrogions sur les stéréotypes de genre, sur les acquis du féminisme, sur les combats qu’il reste à mener. Le spectacle a beaucoup tourné et nous faisions à la suite des représentations scolaires des débats avec les lycéens. Nous étions parfois désemparé.e.s face à certaines réactions car tout en affirmant que l’égalité hommes/femmes était totalement acquise, certains propos révélaient une prégnance très forte des stéréotypes de genre et une acceptation des assignations de rôles : « Une fille doit faire le ménage, elle est soigneuse, c’est naturel chez elle », « Un garçon qui drague, c’est un Dom Juan, une fille qui drague elle se respecte pas ! ».

Nous avons eu envie de proposer un nouveau support de réflexions et débats sur le sujet. Par ailleurs, nous travaillons très régulièrement avec le Centre Social Quartier Vitalité qui s’interroge sur la mixité et l’égalité de traitement filles/garçons dans les secteurs Enfance et surtout Jeunesse.

L’idée est venue de proposer du théâtre-forum sur le sujet.

Mais nous avions besoin d’un solide apport théorique sur la question, de maitriser certains concepts, de nous appuyer sur des études scientifiques pour étayer notre propos. Nous nous sommes alors tout naturellement tournés vers l’institut EgaliGone.

EgaliGone : Quel bilan tirez-vous de cette première étape ?

Maud Martin : Nous étions ravi.e.s de cette représentation de théâtre-Forum et de la vivacité du public lors des débats. Nous testions l’articulation entre saynètes et apport théorique. L’équilibre entre les deux a très bien fonctionné, les propos de Violaine Dutrop-Voutsinos éclairant et enrichissant grandement les débats.

Il nous faut maintenant diffuser le spectacle en collaboration avec EgaliGone afin de toucher un public plus vaste, un public de professionnels sensibilisés ou non à cette question (animateurs, bibliothécaires, responsables secteurs Enfance/Jeunesse…). Car là est notre défi commun : interroger les mentalités et les pratiques là où la question égalité filles/garçons ne se pose parfois même pas.

La Compagnie du Désordre est joignable au : 04 78 28 11 62, Le_desordre@yahoo.fr

En complément de la synthèse (voir plus haut), le rapport final de l’enquête 2011 menée par EgaliGone est disponible au prix de 5 euros auprès d’EgaliGone.