Par Florence Françon

Nous l’avions annoncé : la publication de deux revues coordonnées par des syndicats enseignants a été l’occasion d’une rencontre pour des pratiques égalitaires en milieu scolaire. En septembre 2013, un hors-série intitulé « Egalité ! » de la revue Contrepied (voir l’article du Café Pédagogique), dirigée par le Centre EPS et Société, a été publié afin d’aborder la thématique de l’égalité dans l’éducation physique et sportive (EPS) et le sport scolaire. Ce numéro a été transmis à environ 10000 professeur.e.s d’EPS exerçant dans le secondaire, sur environ 30000 en poste. En Automne 2013, est paru également le n°36 de la revue N’Autre Ecole, intitulé « La pédagogie contre le sexisme ». Cette revue est dirigée par la fédération CNT des travailleurs de l’éducation. Les deux revues peuvent être partiellement ou totalement feuilletées en ligne, et commandées pour quelques euros.

ContrepiedIl nous a semblé à la fois enrichissant et indispensable d’entrer en contact avec les directrices de publication de chaque revue. Or, Claire Pontais et Cécile Ottogalli, pour la revue Contrepied, et Charlotte Artois, pour la revue N’Autre école, ont non seulement accepté d’échanger avec nous mais elles ont également répondu présentes à notre invitation pour une rencontre donnant lieu à l’organisation d’un EgaliMois très spécial, intégré, sur proposition de Muriel Salle, aux conférences de l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education. Nous les en remercions encore énormément !

Nautre éoleC’est donc le 17 décembre dernier que l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) de l’Académie de Lyon nous a accueilli.e.s pour cet EgaliMois exceptionnel organisé en partenariat avec l’équipe du GEM (Genre Egalité Mixité) de l’Université Lyon 1.

Etudiant.e.s en Master enseignement, professeur.e.s de sport, infirmier.ère.s scolaires, chercheur.e.s du GEM, chargé.e.s de mission académiques, représentant.e.s d’une association d’arts martiaux, personnes sensibles à la thématique de l’éducation et/ou de l’égalité, membres de l’Institut EgaliGone … autant de profils variés au sein du public pour alimenter une réflexion collective et des échanges riches dans la salle.

Claire Pontais, secrétaire nationale du Snep Fsu et professeure d’EPS, ainsi queCécile Ottogalli, maîtresse de conférences en histoire du sport à l’UFRAPS de l’Université Claude Bernard Lyon 1, ont commencé par rappeler que l’instauration de la mixité dans les cours de sport (datant seulement des années 1980) n’est pas synonyme d’un traitement égalitaire des filles et des garçons. En effet, les filles ont en moyenne deux points de moins que les garçons à leur épreuve sportive du baccalauréat. Alors comment expliquer cet écart ? Pour certain.e.s, l’idée selon laquelle toutes les filles seraient moins sportives que tous les garçons prédomine alors que d’autres personnes s’alarment d’un grand nombre de constats :

•La présence du step et de la musculation dans la liste nationale aux épreuves du baccalauréat général et technologique, impliquant de fait une vision différentialiste des activités pratiquées par les unes et des autres, au détriment de la valorisation d’autres types d’activités comme les sports collectifs.

•L’invisibilisation des filles pendant les cours d’EPS du fait des fortes attentes et attentions accordées aux garçons dans le domaine sportif

•L’invisibilisation des garçons moins sportifs et des violences (insultes homophobes notamment) dont ils peuvent être victimes

•Les forts écarts existants entre les filles et les garçons dans les sports collectifs du fait de la différenciation de leurs expériences motrices dès la naissance – les filles étant moins stimulées sur le plan moteur.

•L’instauration de barèmes différenciés entre les filles et les garçons, par certain.e.s professeur.e.s, dès l’école élémentaire parfois, alors qu’aucune caractéristique physiologique ou propre à l’activité ne la justifie. Par exemple, la course d’orientation n’est pas simplement une épreuve de course mais aussi, et surtout une évaluation des capacités de repérage dans l’espace : alors pourquoi instaurer un barème différent entre les filles et les garçons ?

•Des propos ou des règles de jeu qui renforcent les stéréotypes comme « sois gentil, passe lui la balle » ou deux points accordés lorsqu’une fille marque.

Des constats donc, mais aussi des propositions concrètes d’intervention en cours d’EPS qui permettraient de travailler la dimension de l’égalité ainsi que des présentations de recherches scientifiques afin de déconstruire les idées-reçues et les évidences, notamment au sujet du corps et de ses performances, tels sont les sujets abordés dans ce numéro de Contrepied. Son but est également de rappeler que l’EPS est à faire évoluer comme les autres disciplines, celles qui sont à présent enseignées sans discours différentialiste aux filles comme aux garçons.

Charlotte Artois, documentaliste dans un collège et coordinatrice du numéro « La pédagogie contre le sexisme », a pour sa part noté l’intérêt pour les professionnel.le.s d’avoir conscience des stéréotypes qu’il.elle.s peuvent véhiculer dans leurs pratiques pédagogiques. C’est pourquoi la revue est à la fois un recueil d’interviews, de témoignages mais aussi de bonnes pratiques et de bibliographies pour travailler la thématique de l’égalité à l’école. Pour nous confirmer la nécessité d’observer ses propres pratiques en tant que professionnel.le.s de l’éducation elle nous a présenté une belle illustration des effets inégalitaires, au quotidien, d’une éducation différenciée entre filles et garçons. Elle a souhaité partager avec nous les observations menées au cours d’une journée de travail : les règles de vie (« un garçon à côté d’une fille »), l’occupation de l’espace par les filles et les garçons, l’absence de mixité dans les groupes de travail, la différenciation des activités au CDI entre filles et garçons, la monopolisation de certains espaces et de l’attention des adultes par les garçons, la rébellion puis la résignation des filles après la classe de 5ème conduisant à une autocontrainte de leur part, et enfin l’absence de femmes dans les manuels scientifiques. Cette description d’une journée tout à fait habituelle dans un collège, et particulièrement pendant les temps de permanence et au CDI, démontre à la fois la prédominance de pratiques inégalitaires inconscientes au sein de l’institution scolaire, par tou.te.s les acteur.rice.s, ainsi que les apports que cette prise de conscience peut ensuite engendrer dans ses propres pratiques : une adaptation de ses habitudes de travail et des discussions avec les adultes encadrant.e.s et les élèves pouvant aboutir à l’élaboration d’un projet d’établissement visant à mettre en œuvre l’égalité entre les filles et les garçons.

Observer ses propres pratiques, d’accord, mais ensuite, comment faire ? Telle est la question générale qui s’est posée dans l’assemblée. A cela, nos invitées ont répondu : « 1) Ne pas céder. 2) Par un traitement didactique adapté et une posture réflexive, on peut limiter la reproduction des stéréotypes et construire l’égalité ».

Pour cela, il faut déjà avoir conscience des idées-reçues en vigueur dans l’éducation et notamment celle que les filles seraient moins sportives que l’ensemble des garçons, par exemple. L’enseignement de l’histoire et de la sociologie du sport est aussi une réponse intéressante pour amener les élèves à s’interroger sur leurs représentations. Rappeler que rien n’est immuable, en comparant plusieurs lieux ou plusieurs époques est utile. Par exemple, la gymnastique, en tant qu’activité proposée en EPS, est généralement renvoyée aux compétences et aux goûts des filles, et d’autant plus si on parle de GRS (gymnastique rythmique et sportive). Or, jusqu’au début du XXème siècle, ce sport était réservé aux hommes car il visait à préparer leur corps à l’activité physique, à la performance et donc à la production ouvrière. Puis, durant le développement industriel, ce type d’activités a été délaissé pour favoriser davantage les sports collectifs afin de stimuler l’esprit réflexif, le corps n’étant plus le seul et premier moyen de production. De nombreuses activités sportives, initialement réservées aux hommes ont donc été délaissées car dévalorisées, permettant ainsi aux femmes d’y accéder (inversement, le football était au départ pratiqué par des femmes en Europe ; ce sport est toujours pratiqué en majorité par des femmes outre-Atlantique). Avec l’instauration de la mixité en EPS, les activités dites « féminines » et dévalorisées ont disparu des programmes scolaires (alors que la pratique de la GRS en maternelle procure d’excellentes bases pour plus tard jouer au basket par exemple). Alors comment revaloriser ces sports aujourd’hui aux yeux des éducateur.rice.s et des élèves et ainsi lutter contre la reproduction des stéréotypes ?

Sur ce point, a été notée l’importance d’agir dès l’école maternelle pour rééquilibrer les expériences vécues par les filles et les garçons, dès la naissance et pour dépasser les stéréotypes propres à chaque activité. En effet, si l’on propose les mêmes activités aux filles et aux garçons en même temps, en fonction des compétences que cela leur permet de développer à un certain âge, les différences de performance entre les sexes pourront s’atténuer, en tout cas au moins à l’école primaire, avant que les corps évoluent, et chaque enfant pourra choisir parmi une plus large palette de choix sportifs car il.elle aura pu s’essayer à différentes activités au cours de sa scolarité. Plus concrètement, l’intérêt de réaliser des activités de danse à l’école maternelle est par exemple notoire car elles permettent de développer des capacités importantes à ces âges-là, c’est pourquoi filles et garçons devraient pouvoir en bénéficier de façon égale. De plus, cela peut être un véritable vecteur d’épanouissement pour des enfants, et dans ce cas surtout des petits garçons, qui ne sont habituellement pas « autorisés » à investir ce type d’activités catégorisées comme « féminines ». L’accent est donc à nouveau mis sur la pratique du sport scolaire en tant qu’activité éducative comme tout autre cours visant à développer des compétences mais aussi une confiance en soi voire un rapport différent à son corps.

Le rapport au corps est en effet un point important, caractéristique de l’EPS, notamment durant l’adolescence. Comment envisager des équipes mixtes dans une activité qui implique une certaine proximité physique (comme l’accro-gym) ? Comment faire face à des élèves réfractaires ? Comment veiller à ce qu’aucune violence sexiste, ou d’ordre sexuel ne se produise ? Ces questions délicates représentent le quotidien des élèves et de leurs professeur.e.s. C’est à nouveau l’intérêt d’agir dès le plus jeune âge qui a été démontré afin d’éduquer les filles et les garçons dans un respect et une confiance mutuels pour éviter tout conflit et violence, ce qui implique, entre autres, une représentation de tous les types de sport au cours de la scolarité pour lutter contre la dévalorisation de certaines pratiques et pour développer de façon égale les compétences physiques et la confiance en soi des filles et des garçons. Enfin il a été question de l’intérêt de valoriser les sports collectifs en vue d’un travail collaboratif, afin de promouvoir les compétences de chacun.e en limitant quelque peu l’esprit compétitif, pour une meilleure construction des relations filles-garçons ou même élève-élève, éducateur.rice-élèves.

Les échanges font référence à de véritables problématiques existant au sein des établissements scolaires et pouvant être résolues par un travail réflexif et collectif des équipes éducatives, à condition qu’elles s’en emparent. Les idées partagées au cours de cette soirée n’ont pas prétention à transmettre des solutions universelles mais simplement à enrichir les réflexions personnelles et communes pour s’approprier au mieux les faits propres à son territoire ou à sa structure.

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