01837482_photo_logo_de_l_assemblee_nationale-small480Chloé Riban a assisté à un colloque (lien vers le programme), organisé à l’assemblée nationale le 30 septembre 2014, et intitulé « L’égalité femmes-hommes et la loi : deux ans d’études d’impact ». Voici sa restitution.

Madame Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale a initié la tenue de ce colloque. Elle a rappelé le contexte de ces réflexions : depuis deux ans, la France s’est dotée d’un dispositif prévoyant des études d’impact, qui doivent venir questionner et mettre en perspective les projets de loi, faisant apparaître leurs conséquences concrètes. Les politiques publiques ont en effet une dimension sexuée, nécessitant une approche globale et transversale, pointant les questions de genre dans tous les domaines. Bien souvent,  les questions soulevées par les études d’impact ne sont pas spontanées, car les discriminations s’exercent parfois de façon invisible. Par exemple, la loi sur la transition énergétique ne semblait pas activer des enjeux de genre. Pourtant, les femmes sont particulièrement touchées par les questions de coût de l’énergie, notamment les femmes de milieu rural vivant seules dans de grandes maisons et les femmes portant des familles monoparentales. De même, la fiscalité a un effet très important sur la vie des femmes : il a été constaté que le quotient conjugal peut être un frein dans la reprise du travail des femmes… Il est donc fondamental, pour Madame Coutelle, de multiplier ces études d’impact et de rassembler les données qu’elles mettent en lumière.

A cet égard, Madame Pascale Boistard, Secrétaire d’Etat aux droits des femmes, a rappelé que l’égalité réelle était loin d’être atteinte, les inégalités étant prégnantes à tous les âges, dans tous les domaines. Une approche transversale des droits des femmes, passant par tous les ministères, doit être favorisée. Pour ce faire, les études d’impact sont un outil essentiel qui permet aux parlementaires d’envisager les textes sous une autre perspective.

Monsieur Maxime Forest, président de la commission internationale du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a ensuite animé une table ronde portant sur les différentes pratiques en la matière au niveau européen. Il a rappelé en introduction que la notion même d’étude d’impact varie, selon la manière de préparer la loi, la place accordée par ces études à la notion d’égalité et de genre, etc.

Madame Indre Mackevicuité, experte en approche intégrée de l’égalité à l’Institut européen du genre (Commission européenne) explique que les études d’impact centrées sur le genre ont un pouvoir de transformation très clair. Le genre peut être une approche adoptée sur tous les sujets. Dans un grand nombre de pays, il faut se battre pour mettre en place des études d’impact… Ces études apportent pourtant une réelle plus-value pour repenser les politiques publiques. Elles sont très développées au Danemark, en Suède, en Autriche, en Espagne et désormais en France, ainsi que dans quelques autres pays européens, mais du chemin reste à parcourir ! Une réflexion sur ces études en elles-mêmes doit ainsi être menée. On peut en effet réaliser des statistiques genrées, des statistiques en termes de ségrégation, travailler sur la question de la transparence et sur la qualité des politiques publiques, bref, différentes entrées peuvent être adoptées pour mettre en place ces études. Se pose également la question de l’organisme qui réalise l’étude… et de la responsabilité, ensuite, quant à la prise en compte des résultats de l’étude. Pointer les problèmes soulevés par une politique pose effectivement la question de ce que l’on fait de cette information. L’enjeu est de taille, car les études d’impact peuvent avoir un effet très important si l’on saisit cette opportunité.

Madame Rosario Guerrero Martin, experte des affaires juridiques à l’Institut de l’égalité, en Espagne, indique que les études d’impact sont prévues par la loi depuis 11 ans en Espagne. Progressivement, la pratique de ces études se généralise, même si ce sont souvent avec des études très simples, pour la simple et bonne raison qu’on ne dispose pas de données pour la situation initiale ! La loi de 2007 sur l’égalité effective est venue rappeler l’importance de ces études d’impact sur les lois, mais aussi sur tous les plans gouvernementaux. La notion de transversalité, c’est-à-dire de création d’indicateurs genrés dans tous les domaines, a été introduite et un guide méthodologique a été produit. Ce guide revient d’ailleurs sur les effets du genre et l’importance de cette question. Depuis 2008, l’Espagne a également rendu obligatoire l’examen de la loi de finance au prisme du genre. Mais il reste beaucoup à faire, notamment au niveau des administrations locales qui ne font souvent pas ce type de statistiques… alors qu’on sait que l’Espagne est un pays très peu centralisé.

Enfin, Madame Vera Jauk, responsable du département des politiques d’égalité, de genre et des questions légales au ministère de l’éducation et des droits des femmes en Autriche, a expliqué que les études d’impact sont associées, dans son pays, aux questions budgétaires. La transversalité des questions d’égalité de genre a été organisée au niveau public depuis les années 2000. Les décisions budgétaires étant fondamentales en termes d’effets, la Constitution autrichienne prévoit du « gender budgeting » : le processus est assez détaillé, mais en bref, pour un nombre de mesures budgétaires donné, il est obligatoire de prévoir, dans ces mesures, des dispositifs permettant la réalisation de l’égalité. Les études d’impact ont lieu également, pour toutes les lois proposées, les directives, etc. Cette évaluation genrée se base sur des critères prédéfinis et des questions précises sont prévues, permettant de « décortiquer » chaque politique publique. Et, cerise sur le gâteau, les études sont publiées…

Une seconde table ronde portant plus spécifiquement sur le cas français a permis d’expliquer le fonctionnement en France des études d’impact. Madame Florence Dubois-Stevant, cheffe du service de la législation et de la qualité du droit, au sein des Services du Premier Ministre a ainsi expliqué qu’il revient à son service de vérifier la qualité des études d’impact produites lors du dépôt d’un projet de loi par les ministères. A terme, l’objectif est que l’intégration de la dimension genrée devienne un objectif dans la construction des études d’impact.

Madame Stéphanie Seydoux, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, à la direction générale de la cohésion sociale, indique que l’évaluation n’est pas encore complètement systématique mais il s’agit d’un engagement. Son service dialogue avec chaque ministère dès lors qu’une loi est en cours de préparation afin d’appuyer l’approche intégrée, c’est-à-dire la prise en compte du genre dans tous les domaines. Des fonctionnaires dédiés ont été mis en place dans chaque ministère. L’enjeu est bien de prendre en compte les effets indirects ou les effets différés que pourrait avoir une loi. Les études d’impact permettent donc une vraie plus-value qualitative des textes législatifs. Cependant, il reste des champs non couverts par ces études : les propositions de loi, qui émanent du Parlement, notamment, mais également la transposition directe des directives européennes, etc. En outre, le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes est confronté à des délais parfois particulièrement courts pour évaluer l’impact d’une loi avant qu’elle ne soit présentée au Parlement, malgré un effort pour travailler en amont avec les ministères. Enfin, la question de l’évaluation a posteriori des lois reste posée…

Monsieur Sébastien Denaja, député, membre, notamment de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et rapporteur du projet de loi relatif à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes souligne que la difficulté est, pour les parlementaires, de savoir utiliser ces études d’impact et de les compléter le cas échéant. Le manque d’outil statistique cependant, demeure criant. A titre d’exemple, le harcèlement sexuel dans le monde de la recherche, qui doit faire l’objet de mesures, est déjà très peu évalué de manière claire sur la situation initiale ! Il note également l’importance d’une telle démarche d’évaluation au niveau régional et territorial. C’est la sphère publique dans son ensemble qui doit être imprégnée de cette démarche de « gender mainstreaming ». Monsieur Denaja reconnait le manque d’implication des députés de sexe masculin sur ces questions… et réclame le retour d’un ministère des droits des femmes de plein exercice et rattaché au Premier Ministre !

Enfin, Cécile Untermaier, députée et membre, notamment, de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, rappelle que le droit en matière d’études d’impact et d’égalité est important, mais pas suffisant. En France, nous manquons cruellement d’une culture de l’égalité, qui passe notamment par la vertu des élu.e.s. La qualité des études d’impact doit également être requestionnée, car ces études déterminent la qualité de la loi. On peut, à ce titre, se poser la question de la validation des études d’impact par une autorité indépendante, au lieu des services du Premier Ministre. En effet, les études sont faites, pour le moment, par les ministères ! On peut également regretter que le Parlement n’ait pas les moyens de réaliser des études pour ses propositions de loi. Madame Untermaier considère également qu’il revient aux parlementaires de « tester » les textes législatifs auprès de leurs électeurs, de les consulter afin d’entendre ce qu’ils pressentent des effets d’une loi en cours d’élaboration.

Epilogue : note sur ma sortie de l’Assemblée nationale

M’éclipsant quelques minutes avant la fin du colloque, au moment des questions de la salle, je suis interpellée à la sortie de l’Assemblée nationale alors que je viens récupérer ma pièce d’identité par les messieurs de l’accueil : « Ha non, vous partez pas déjà mademoiselle ! ». « La conférence n’est pas encore finie. – Si presque, et je dois y aller. – Ha non non, vous vous étiez engagée… mais c’est bien les femmes ça… ». Je ne réponds rien et m’en vais sans commentaire, on est tout de même à l’Assemblée nationale. Morale de l’histoire : les études d’impact, l’égalité par la loi, c’est bien. La prise de conscience individuelle des rapports de genre, c’est… bien aussi !

Lien vers les actes du colloque