Andy_Murray_and_Laura_Robson_-Wimbledon,_London_2012_Olympics-3Aug2012 - Photo Wikimedia commons
Laura Robson et Andy Murray en double lors des JO de Londres 2012. Crédits : Christopher Johnson, licence CC-BY-SA-2.0

De récentes expériences et observations personnelles m’ont donné l’occasion de réfléchir aux inégalités femmes-hommes dans un domaine que je connais assez bien depuis mon enfance : le tennis. Cette année, dans mon club de Rive-de-Gier (Loire), un tournoi interne de double a été organisé, ouvert à tous les adhérent(e)s, quels que soient leur niveau, leur âge et leur sexe. Ainsi, sur les 26 équipes participantes, figuraient 3 paires féminines et 6 paires mixtes (pour plus de détails sur les conditions de ce tournoi, vous pouvez vous reporter au paragraphe annexe que j’ai placé en fin d’article).

Les résultats de ce tournoi ont été pour le moins surprenants si on s’en tient aux clichés habituels et aux pronostics de départ : l’équipe gagnante fut en effet une équipe mixte, théoriquement numéro 8 sur le papier. En finale, cette paire a battu deux garçons que leurs classements plaçaient potentiellement à la 3ème place du tournoi. La meilleure paire théorique (masculine aussi) a finalement terminé sur la dernière marche du podium. Parmi les 6 équipes modestement récompensées à la fin de ce tournoi convivial, figuraient une autre équipe mixte (5ème) et une équipe féminine (6ème). Statistiquement, on avait donc à peine 1/4 de joueuses au départ (23%) mais au final 1/3 parmi les meilleurs. Dit autrement, un peu plus d’1/3 d’équipes mixtes ou féminines avaient participé (34,6%) mais la moitié des paires récompensées étaient dans ce cas de figure.

Ce modeste résultat local peut être mis en écho à un événement tennistique datant de 1973. A l’époque, l’Américain Bobby Riggs, ancien champion alors âgé de 55 ans et retiré de la compétition depuis 1962, assumait un machisme provocateur, affirmant qu’aucune femme ne pouvait le battre malgré sa retraite sportive, pas même les meilleurs joueuses en activité de l’époque. Il défia d’abord l’Australienne Margaret Smith Court (31 ans), considérée par beaucoup comme l’une des plus grandes championnes de l’histoire tennistique, qu’il battit facilement (6-2, 6-1). Ce résultat semblait (malheureusement) lui donner raison ! Mais il récidiva, la même année, contre la numéro 1 mondiale, l’Américaine Billie Jean King (29 ans), dans un match bien plus médiatisé que le précédent. Lors de cette rencontre, surnommée « La Bataille des sexes », la joueuse l’emporta 6-4, 6-3, 6-3. Ces résultats sont d’autant plus symboliques que Billie Jean King est aussi une militante féministe et LGBT, alors que Margaret Smith Court a ensuite adopté un discours violemment homophobe dans sa carrière politique.

Quels enseignements peut-on tirer de ces cas concrets ? D’abord qu’on n’a guère évolué depuis 1973 pour avoir besoin de commenter encore ce genre de choses ! Ensuite que la supposée infériorité sportive des femmes est un simple stéréotype, fruit d’une misogynie ancrée si profondément que les analyses sont biaisées ou exagérées. Les femmes sont-elles plus fortes et puissantes que les hommes ? Une telle question laisse déjà présupposer une chose : que le sport (comme d’autres activités physiques) ne fait appel qu’à ce critère de réussite. Or, dans un sport comme le tennis, la précision, la capacité à anticiper ou encore la stratégie sont autant d’autres éléments qui permettent au joueur ou à la joueuse d’être efficace au point de dominer un(e) adversaire physiquement plus puissant(e). D’autre part, si l’on s’en tient au seul critère de force musculaire, les faits sont souvent mal posés. Biologiquement, il y a évidemment des différences entre hommes et femmes, et le développement musculaire est en moyenne plus important chez les hommes. Mais tout tient dans l’expression « en moyenne » ! Un homme lambda n’est donc pas obligatoirement supérieur à toutes les femmes en termes de force musculaire ! Certes, quand on compare les plus « forts » de chaque sexe, il est souvent difficile pour les femmes de soutenir l’adversité – il suffit par exemple de comparer les records féminins et masculins dans des sports comme l’athlétisme ou l’haltérophilie – et cela explique que les compétitions séparent femmes et hommes dans la majorité des sports, puisqu’une mixité totale avantagerait les hommes, du moins à haut niveau. Mais il est impossible d’en tirer des généralités et encore moins de justifier une infériorisation des sportives par rapport à leurs homologues masculins. L’exemple de l’affrontement King-Riggs, et plus modestement celui de mon club de tennis, en attestent : les femmes peuvent aussi battre les hommes. Notons que j’ai failli mettre un point d’exclamation à la phrase précédente, mais qu’un tel choix de ponctuation sous-entendrait que c’est étonnant… Preuve qu’on peut inconsciemment se conformer aux stéréotypes jusque dans les moindres détails !

Plus largement, quelle est la place des femmes dans le monde du tennis ? Voir la 2ème partie de l’article.


Annexe : précisions sur le tournoi de double interne du club de Rive-de-Gier.

L’étude de cas que je propose au début de cet article n’a probablement pas de valeur scientifique, notamment à cause de la faiblesse de l’échantillon et du fait que j’y aie moi-même participé. Mais je vais quand même dresser un descriptif assez précis de cette expérience, pour permettre de mieux en cerner la portée des enseignements que j’en ai tirées. Outre la répartition par sexe, voilà d’abord quelques données générales sur les niveaux et âges des participant(e)s de ce petit tournoi de double auquel je fais référence. Les niveaux individuels étaient très variés : du plus bas classement dans le système de la fédération française (40 ou non classé), jusqu’à un classement 3/6 pour le meilleur des inscrits (pour en savoir plus sur ce sujet, je conseille simplement la lecture de l’article « Systèmes de classement nationaux au tennis » sur Wikipédia). Pour l’âge, cela allait de 14 à 66 ans, avec 13 personnes dans la classe dite « senior » (18-35 ans) et près de la moitié des participants (25 exactement) de plus de 35 ans.

Ce tournoi était organisé avec un système de poules, suivi d’un tableau multiple permettant un classement complet des 26 paires. Les matchs étaient quant à eux des affrontements sous la forme de « super-tie-breaks » en 10 points gagnants (sauf la finale en 15). Pour répartir les équipes dans les poules et déterminer des têtes de série, l’organisateur avait calculé le classement moyen de chaque paire, en réévaluant les classements féminins par rapport aux classements masculins (par exemple, une joueuse classée 30/0 était considéré comme l’équivalent d’un niveau 30/3 masculin). Précision importante : comme il s’agissait avant tout d’un tournoi convivial, les enjeux étaient limités (quelques cadeaux – non connus à l’avance – pour les 6 premières équipes, et pas de possibilité d’engranger des points de classement FFT), mais il serait malhonnête de nuancer mes conclusions sous prétexte que les joueurs n’auraient pas donné le meilleur d’eux-mêmes. A ma connaissance, personne n’a vraiment « sous-joué » (à part peut-être certaines rencontres de poule très déséquilibrées, mais qui se sont malgré tout soldées par une victoire logique de la meilleure paire). Tout le monde avait, dans chaque match, une réelle volonté de s’imposer. Pour ma part, avec mon niveau très modeste, j’ai réellement essayé de faire de mon mieux dans mes différents matchs, et, au côté de mon partenaire masculin, la seule rencontre qu’on a perdue 10-0 était contre l’équipe féminine qui a ensuite terminé à la 6ème place, alors qu’on avait gagné plusieurs points contre la paire masculine qui a fini 2ème. Pourtant on avait bien joué avec le même niveau et les mêmes intentions dans les deux matchs.

Raphaël Jullien


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