Sasha a rencontré au Centre Social d’Ecully Chrystelle Danel, chargée de projet auprès des adolescent·e·s, Caroline Chabridon, chargée de projet auprès des adultes et des séniors, Sven Klawitter, référent accompagnement à la scolarité, et Anaïs Ivanic, animatrice accompagnement à la scolarité primaire.

Vivre ensemble et lutte contre les discriminations

Vous avez décidé de travailler sur les discriminations et l’égalité hommes-femmes dans votre centre social : comment est né ce projet ?

Cette thématique fait partie intégrante du projet social du centre, c’est une thématique que l’on traite toutes et tous depuis longtemps. Seulement, on ne s’était jamais réuni avant en disant “concrètement, on va travailler sur cela”. Même si on l’intégrait déjà dans nos pratiques. On essayait déjà de faire très attention à l’égalité entre hommes et femmes, chez les adultes comme chez les adolescent·e·s. Alors que là c’est affiché, on en parle directement, et on s’est réuni autour de cela, même si après chacun·e a travaillé sur ses propres projets en fonction de son domaine d’activités. Cela s’est fait de manière informelle au départ, chacun·e a parlé avec les autres groupes d’animateurs et animatrices, puis on a eu un temps de rencontre entre nous qui nous a permis de formaliser nos idées et de décider de la thématique.

Chrystelle a travaillé avec les adolescent·e·s des groupes d’accompagnement à la scolarité, Caroline avec les adultes des ateliers de français. Le but de ces deux groupes était de créer une exposition basée sur la question des stéréotypes et des préjugés. Les participant·e·s ont réalisé un photomontage où ils·elles tiennent une pancarte avec une phrase dénonçant un stéréotype tel que « Je suis une maman de 4 enfants donc je fais tout à la maison », « je suis    latino-américaine donc je danse excellemment bien à la salsa », « je suis une femme donc je suis bavarde », « je suis un garçon donc j’aime le foot », « je suis africain donc je me marie avec une française pour avoir les papiers », « je suis un agent d’entretien donc je ne vaux rien », etc. Un troisième projet a émergé en parallèle dans le groupe d’adultes pour l’accompagnement à la scolarité primaire, où parents et enfants se réunissent en présence d’un·e animateur·trice pour faire leurs devoirs. Dans ce troisième groupe, les parents et les enfants ont conjointement créé un journal éphémère, le Mix des Sources, qui valorise les cultures et la diversité culturelle du quartier.

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Exposition-photo sur les préjugés – De gauche à droite « Je suis une femme donc je suis bavarde » « Je suis un garçon donc j’aime le foot » « Nous sommes des filles donc nous sommes gentilles et toutes calmes »

Pouvez-vous décrire plus spécifiquement chaque projet et chaque groupe ?

  • Les adolescent·e·s du groupe d’accompagnement à la scolarité

Comme on le disait, on faisait déjà attention à la thématique de l’égalité. Par exemple quand les jeunes voulaient organiser une activité de motocross ou autre, et que je voyais débarquer huit mecs, je disais « allez on va essayer de trouver des filles ». Mais cette fois-ci c’était ouvertement affiché, c’était un projet contre les discriminations. Ça permet d’avoir un temps fort et peut être d’attirer de nouvelles personnes.

Chaque semaine, j’ai des groupes d’une quinzaine d’adolescent·e·s qui viennent les lundi, mardi et jeudi pour l’accompagnement à la scolarité. On ne fait pas de l’aide aux devoirs de manière scolaire, on fait souvent des activités diverses et ludiques qui permettent de développer leurs compétences d’autres façons que ce que propose l’école. On est là pour impulser et faire découvrir de nouvelles choses. Dans ce cadre-là, j’ai voulu travailler la mixité et l’égalité filles-garçons avec elles et eux, sur deux séances.

1ere séance

Le but était de les sensibiliser et conscientiser leurs préjugés en passant par un jeu. J’ai demandé à Lyon à Double-Sens (LADS) d’intervenir pour la préparation et l’animation de ce jeu, ils.elles sont spécialistes de l’animation de jeux pédagogiques sur les thématiques du vivre-ensemble. Mathieu de LADS a présenté l’atelier sur les stéréotypes : qu’est-ce qu’un stéréotype, quelle différence y a-t-il avec un préjugé, et quand est-ce que ça devient une discrimination ? On essaye de sortir de l’idée culpabilisante du stéréotype, en expliquant que c’est normal d’en avoir, et c’est même nécessaire pour permettre à notre esprit d’analyser rapidement une situation, et décomplexifier le monde dans lequel on vit. LADS a proposé un jeu de connaissance au début. Sans se parler, on devait définir un trait de caractère, la taille, ou le plat préféré d’une personne du groupe. Le but c’est de rigoler des stéréotypes. Moi par exemple, on m’a systématiquement dit que mon plat préféré c’est du riz (ils savent que je suis végétarienne, et j’ai des origines de type asiatique); et même sur la taille, les jeunes nous voient plus grand·e·s que ce que l’on est parce qu’on est des adultes.

Ensuite, on a décidé de faire le « jeu du pas en avant ». En quoi consiste-il ? Chaque participant·e se voit attribuer un personnage. Par exemple : je suis un SDF, je suis un avocat en recherche d’emploi, je suis un père célibataire… et les personnages sont par paire genrée, c’est-à-dire que d’autres participant·e·s vont avoir les personnages : je suis unE SDF, je suis unE avocate en recherche d’emploi, je suis unE mère célibataire. Un·e adolescent·e peut avoir un personnage féminin ou masculin indépendamment de son sexe. Tout le monde est placé en ligne au départ. L’animateur·trice pose ensuite une question à voix haute. Si un·e participant.e peut répondre « oui » en fonction de son personnage, il·elle avance d’un pas ; si non, il·elle reste sur place. A la fin, il y avait souvent des différences entre la version « masculine » et « féminine » d’un même personnage. Les mères célibataires, d’après les réponses, avaient beaucoup plus de difficulté en termes de recherche de boulot ou de liberté de mouvement que les pères célibataires. Les questions que l’on pose sont par exemple : « je suis coquet·te », « je ne peux pas tomber amoureux·se de qui je veux », « j’aime les histoires d’amour ». Après chaque question, les adolescent·e·s discutent avec leur accompagnateur ou accompagnatrice à la scolarité, qui marche à côté d’elles·eux pendant tout le jeu. Ils·elles s’interrogent « ben non, je suis un garçon, je ne mets pas de crème, je ne mets pas de bijoux ». Cela a permis aux accompagnateur·trice·s de se questionner aussi car tout le monde est soumis à certains stéréotypes. Il y avait une grande différence notamment en termes de loisirs et de rôles à la maison. Souvent, la réflexion était lancée sur les stéréotypes en général et pas seulement les stéréotypes de genre. A la question « j’aime regarder les matches de foot », les personnages SDF n’ont pas avancé car « ils n’ont pas la télévision, donc ils n’aiment pas le foot ». C’est un jeu très visuel, dans lequel on voit l’espace se creuser au fur et à mesure des questions. Ça permet de mettre en relief les possibilités de chacun en fonction du sexe de son personnage.

Sur cette première séance, la réussite du jeu a varié selon les groupes. Le lundi, les jeunes n’étaient pas intéressé·e·s et n’ont pas accroché. Peut-être parce que le jeu était moins bien ficelé, mais c’est aussi une question de personnalité et lorsque plus de la moitié n’adhère pas, c’est difficile de créer une émulation de groupe. En revanche les groupes du mardi et du jeudi se sont vraiment pris au jeu, et on a rallongé les séquences. Ça a parlé aux jeunes. Par exemple on a une fille qui est intéressée par les métiers de la sécurité et la police, et elle hésite aussi avec infirmière. Elle veut un métier de proximité, et on lui propose immédiatement de travailler dans le médico-social. Elle a pu s’exprimer pendant la séance. On a aussi parlé du sport ; on avait deux filles voilées, est-ce qu’elles devaient retirer leur voile pour la pratique sportive ? On a pu échanger sur cette question, on avait le temps et l’espace nécessaire pour cela.

2e séance

Le but de la deuxième séance était de prendre un temps pour discuter et de faire des photos. Le groupe du lundi n’a pas fait cet atelier car la première séance n’avait pas fonctionné.

Dans la continuité de la première séance, on a réfléchi à un stéréotype qui peut nous toucher personnellement. On écrit ensuite ce stéréotype sur une pancarte que l’on tient, et on se fait prendre en photo. A la base chacun·e devait le faire de son côté, mais les jeunes ont directement interagi entre elles et eux. Ça a permis de mettre directement les stéréotypes en relief. Il y a des filles qui veulent s’affranchir, elles jouent toutes au foot, elles font les mêmes activités que les mecs. Et un garçon leur a dit «les filles ça ne joue pas au foot ». Ça les a énervées ; elles ont répondu, et une d’entre elles a décidé de marquer ça sur sa pancarte pour la photo. Inversement, un garçon a décidé d’écrire « je suis un garçon donc j’aime le foot ». Ils·elles ont parlé de tout ça entre eux·elles. Puis les filles ont dit : « t’es pas un garçon si tu te bats pas », alors même que dans ces groupes c’est plus souvent les filles qui se bagarrent que les garçons. Un garçon a alors décidé d’écrire « comme je suis un garçon j’aime me battre » sur sa pancarte.

Finalement, les photos prises avec les adolescent·e·s et leurs pancartes ont été utilisées pour construire une exposition sur les préjugés. Ce sont les adultes de l’atelier de français qui ont réalisé cette expo, mais pour une prochaine fois on aimerait inscrire les adolescent·e·s dans la création de l’expo aussi.

3ème séance.

Finalement, une 3e étape s’est greffée sans que l’on s’en rende compte. Les accompagnateurs et accompagnatrices sont venues faire le quizz d’accompagnement de l’exposition du Moutard « Egalité Parlons-en ! ». L’exposition est accompagnée d’un guide qui permet aux jeunes de se questionner, et d’analyser le contenu des affiches. Ça a été très utile et au final c’était dans la continuité des deux séances précédentes. Par exemple, pour les jeunes il était évident qu’on avait le droit de faire une offre d’emploi destinée à un homme, une femme, un·e jeune ou une personne âgée. Ils et elles ont appris que l’on ne pouvait pas sélectionner une personne en fonction de son âge pour une offre d’emploi. Il est interdit par la loi de cibler en fonction de l’âge ou du sexe. J’ai senti que le déclic a eu lieu, que l’idée est passée. Une fille pensait vraiment qu’une femme ne pouvait pas postuler à un métier où on a besoin de « muscles » ; après cette exposition, elle a réalisé qu’il était interdit de discriminer en fonction du sexe.

  • Les adultes de l’atelier de français

En parallèle du groupe d’adolescent.e.s, on a travaillé sur les stéréotypes, les discriminations et l’égalité auprès d’adultes de l’atelier de français, qui ont lieu le lundi soir et le jeudi matin. Ce n’est pas un cours de grammaire qu’on leur propose, c’est plus une transmission à la fois orale et écrite sur des sujets de la vie quotidienne, l’école, la santé, etc. Ils et elles s’entraident tout en apprenant le français. Dans ce cadre-là, on a proposé plusieurs séances sur la vie citoyenne et la lutte contre les discriminations. Il y a eu 7 séances de 2h, avec le même groupe d’adultes.

Séance 1. Présentation et explication de Chloé: qu’est-ce qu’un stéréotype ? Qu’est-ce qu’une discrimination ? On a défini plusieurs mots de vocabulaire.

2015-07-CS Ecully2.jpgSéance 2 : Bande dessinée. On a travaillé sur une planche de BD pour apprendre certains mots de vocabulaire. C’est une bande dessinée qu’on a tirée du livre Bulles de France : stéréotypes en BD et l’interculturel : de A2 à C2, de Géraldine Jeffroy. La BD raconte l’histoire de 3 amis qui partent en voyage, avec un français qui n’arrête pas de se plaindre sur ce qu’il voit dans le pays où ils arrivent. Cette BD permet d’apprendre le français de manière ludique tout en continuant d’explorer la thématique des préjugés et des discriminations.

Séances 3 et 4 : Réalisation des photos pour l’exposition sur les préjugés. La thématique générale était la lutte contre les discriminations. Deux femmes ont parlé de leur statut de femme, c’est ressorti directement. Il y a eu « je suis une maman de 4 enfants donc je fais tout à la maison », ou encore « je suis une dame, j’ai envie de conduire mais mon mari a peur ».

Séances 5 et 6 : Information juridique : information sur les droits, droit à être défendu, dispositif de permanence avocat·e gratuite, médiation, maison de justice et de droit, aides juridiques, etc. On leur donne des outils pour savoir à qui s’adresser et comment en cas de problème. On les informe sur leurs droits. Pour la deuxième séance, on a abordé des questions plus spécifiques, comme le droit de disposer de son corps, le droit à l’avortement. Il y a eu beaucoup d’étonnement. Certain·e·s comprenaient le droit à l’avortement si l’enfant était en mauvaise santé ou s’il y avait danger pour la mère, mais ils ou elles ne comprenaient pas que ça puisse se faire pour d’autres raisons. Ils·elles n’étaient pas au courant de la législation en France. Mais ils et elles sont tous et toutes resté·e·s respectueux·ses, il n’y a pas eu de débat, chacun·e écoutait. On a aussi abordé le droit des femmes à choisir leur mari. Une personne a dit : « c’est la religion qui dit que la femme ne peut pas choisir son mari », et une autre personne a répondu « c’est pas la religion c’est la tradition ». Mais ça ne va pas plus loin, la culture de chacun·e reste de l’ordre du privé.

2015-07-CSEcully3.jpgDernière séance : Création de l’exposition : les adultes ont utilisé leurs photos, et celles faites par les adolescent·e·s pour créer l’exposition. Ils·elles ont ajouté des mots-clefs ou des phrases et on a discuté autour de ça. Les adultes ont confirmé que c’étaient des préjugés, et on a dédramatisé. Ça fait du bien de pouvoir rire de certaines phrases. On était dans la prise de recul, on en rigolait même, par exemple « c’est parce que je suis une femme que vous dites ça ! ». Et maintenant l’exposition sur les préjugés est affichée dans notre hall, juste en face de l’exposition du Moutard. On a aussi ajouté des petits papiers à compléter par qui veut, dans la même idée, en disant « Et vous ? Je suis… donc…. » et on a eu par exemple « je suis vieille donc je ne vaux plus rien ».

Donc ce sont les deux initiatives en parallèle qui ont été réalisées auprès des adolescent·e·s et des adultes, afin de créer une exposition-photos sur les préjugés et les discriminations. Vous avez parlé d’une troisième initiative il me semble ?

Oui, toujours dans cette thématique du vivre ensemble et de diversité, nous avons proposé la création d’un journal éphémère qui valorise les cultures et la diversité culturelle du quartier, le Mix des Sources. C’est Anaïs qui s’est chargée de ce projet. Une fois par semaine, il y a un groupe d’accompagnement à la scolarité primaire, c’est-à-dire une séance de devoirs entre parents et enfants en présence d’une animatrice ou d’un animateur du centre social. Les parents peuvent mettre en place d’autres activités ludiques avec leurs enfants que de l’aide aux devoirs.

2015-07-CSEcully4.jpgTrois familles ont eu envie de rejoindre ce projet. On a proposé à 3 parents avec leurs 6 enfants de réaliser ce journal. L’idée c’était que ce soit très participatif. Les familles ont réfléchi ensemble à quel type de contenu elles souhaitaient mettre, et ont fait elles-mêmes le travail de synthèse et de mise en place. Il y avait un·e photographe, un·e pigiste, et un·e enquêteur·trice. Les familles, parents et enfants ont identifié trois thèmes : la danse orientale, les vêtements traditionnels albanais, et le témoignage d’un jeune marocain tout juste arrivé aux Sources. Elles sont allées interroger la professeure de danse orientale et les jeunes qui en font. Les trois parents étaient trois mamans, sœurs, d’une communauté albanaise. Dans notre quartier, les familles albanaises sont très impliquées dans l’accompagnement scolaire entre parents et enfants. Elles ont très vite accroché avec cette proposition de journal et elles ont beaucoup progressé en français grâce à ce projet. C’était complexe parce qu’au début, une maman ne parlait pas très bien français et se demandait si elle allait pouvoir rédiger ou si les gens allaient accepter qu’elle recueille des infos. Mais au final tout s’est bien déroulé, et elles ont été super heureuses d’avoir fait aboutir ce projet. Les enfants prenaient le micro et quelques notes, et parents et enfants ont rédigé ensemble. Peut-être qu’on remettra ce projet en place l’année prochaine, à voir. C’était un premier test. Ça permet de sensibiliser les gens à plusieurs niveaux : au premier plan, le groupe qui travaille sur le journal ; au second plan, les personnes interrogées, et enfin au troisième niveau, tous les lecteurs et toutes les lectrices de ce journal.

Après cette version « test » de ces projets, que souhaiteriez-vous améliorer pour une prochaine fois ?

Plusieurs choses. Tout d’abord l’organisation interne et la coordination entre nous. Ça aurait été intéressant que les différents groupes avec lesquels on a travaillé puissent se rencontrer. Notamment pour la création de l’exposition-photo sur les préjugés. Au final, par manque de temps, ou plutôt à cause de l’emploi du temps, ce sont les adultes seul·e·s qui ont créé l’expo. On aurait aimé que les adolescent·e·s puissent participer aussi, en utilisant leurs propres photos. Ensuite, on peut réfléchir aux supports qu’on utilise. Finalement on se demande si faire des photos c’était la meilleure idée ; il y a beaucoup de photos où les gens cachent leur visage ou leurs yeux, et on aurait certainement eu plus de participation s’il n’y avait pas eu de photos. Pour beaucoup d’ados, se faire afficher au centre social c’est la honte. Nous on a un côté militant mais que les gens n’ont pas forcément. Notre but n’est pas de forcer le militantisme auprès du public, mais avant tout de soutenir et d’explorer certaines thématiques avec elles et eux. Leur ambition c’est avant tout de découvrir.