Nina Bouteille, investie pour son stage sur le thème du théâtre pour développer l’égalité, a rédigé cette note de lecture qu’elle nous propose en partage.

: une réappropriation culturelle dans une perspective de transformation sociale. Franck Lepage, 2015 dans la revue POUR n°226.

 

Les classes bourgeoises se sont appropriées la notion de culture pour la ramener à celle d’art comme « un ensemble de productions esthétiques raffinées et parfaitement inoffensives et qui ne peuvent plus servir en rien à nous défendre ».

Franck Lepage ne voit pas la culture de cet œil. Il estime que s’approprier la culture est un moyen d’entrer en action contre les dominations de tous types. Un énoncé culturel est « la représentation idéologique d’un problème ». L’éducation populaire permet de s’en saisir pour renverser cette représentation, et mettre à jour l’effet du problème, lié très souvent au système capitaliste.

Avoir des prises de consciences et produire des connaissances politiques seraient donc des actes culturels ! C’est ici le but de la conférence gesticulée. L’éducation populaire pourrait tout aussi bien être appelée éducation critique ou émancipation. Son but est de fabriquer de la culture, de questionner le positionnement politique et économique actuel « à partir de nos expériences et pour nous défendre en tant que dominés, contre les dominants ».

La conférence gesticulée s’attaque aux racines de ce qui fait système et pas simplement aux « relations sociales ». Elle vise donc un véritable changement au contraire des conférences qui soulèvent de simples possibilités.

 

Au XIXème siècle l’industrialisation massive a privé de nombreux·ses hommes et femmes de la construction de leur identité, en les arrachant à « leurs traditions, ou à leur communauté familiale ou villageoise »

Les procédures standardisées d’aujourd’hui reproduisent le même processus « au nom d’une prétendue démarche qualité ». « C’est toujours et encore le même système d’expropriation culturelle qui est à l’œuvre »

Lorsque les ouvriers ont pris conscience de la domination qui les enfermait, ils ont pû développer une identité de classe et mettre en œuvre des actions de  réappropriations culturelles.

Aujourd’hui, après avoir été l’objet d’ « agents professionnels qui animent des objets sociaux » à partir des années 60, en étant enfermée dans des MJC ou des centres socio-culturels, l’éducation populaire revient dans un mouvement tourné vers l’action. « C’est là que le geste consistant à revendiquer son expérience et à prétendre en faire un objet culturel prend tout son sens dans les conférences gesticulées ».

 

Le témoignage de personnes parlant de leur réalité sur scène revient à un « théâtre de la nécessité ». C’est une approche politique de son propre champ de compréhension, s’opposant à LA politique qui prône un champ d’expertise et est déconnectée de la réalité propre aux sujets.

 

« Une conférence gesticulée se nourrit de ces ingrédients :

  • Un récit personnel, des anecdotes autobiographiques, qui illustrent et rendent plausibles, véridiques et incarnées, les analyses. Le pouvoir de l’anecdote est réel.
  • Un commentaire politique analysé du problème en question (les savoirs « chauds »). Ce que j’ai compris moi-même, mes réflexions.
  • Des apports extérieurs universitaires sur la question (les savoirs « froids »). Ce que d’autres en ont dit. On apprend quelque chose.
  • Une dimension historique : l’historicité c’est le rappel de la marge de manœuvre, c’est comprendre comment le problème s’est construit. »

 

Il y a une idéologie derrière l’idée de réserver la culture et l’art à une certaine élite. Nous ne nous en rendons pas compte car «  le capitalisme est d’abord dans nos têtes comme structure culturelle intégrée. » Le profane est rabaissé, il doit y avoir une professionnalisation, une expertise pour qu’une proposition soit prise au sérieux.

Un programme de formation à destination de jeunes adultes dans le but de promouvoir la culture pour le plus grand nombre a été créé après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, la crise d’aujourd’hui et le chômage massif nous maintiennent dans l’idée qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde. L’éducation populaire cherche donc à inviter chacun·e, et plus particulièrement les non-spécialistes à  « s’autoriser d’un champ disciplinaire sans en avoir de titre» pour respecter le pacte républicain, «  lequel suppose toujours que les non-spécialistes produisent le sens ».