Billet rédigé par Marion Ghibaudo, pour l’Institut EgaliGone, avec la contribution d’Isabelle Collet, enseignante-chercheuse à l’Université de Genève.

camionlisonPour cette deuxième semaine de notre blog-campagne Egalitest pour les Gones, nous nous sommes intéressé-e-s à « La poupée de Timothée et le camion de Lison ». Il s’agit d’un guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance envers les filles et les garçons, élaboré par Véronique Ducret et Véronique Le Roi, proposé par l’institut de recherche Suisse Romand : Le deuxième Observatoire. Créé en 1998 à Genève par des universitaires de diverses disciplines, celui-ci travaille sur les rapports entre les hommes et les femmes avec un objectif double : faire des recherches, puis proposer des pistes de réflexion et d’action notamment via des formations et du conseil. La pluridisciplinarité de son approche des rapports entre les hommes et les femmes permet à cet Institut de mener une réflexion globale.

La poupée de Timothée et le camion de Lison
Ce qu’il est : C’est un guide pratique destiné avant tout aux professionnel-le-s de la petite enfance et aux étudiant-e-s, afin de les aider à décoder les messages qu’ils/elles transmettent par leurs attitudes et leurs paroles aux enfants ainsi que les messages des enfants entre eux-elles. Ce guide a été conçu pour amener les lecteurs-rices à s’interroger, aidera les professionnel-le-s à observer leurs comportements à l’égard des filles et des garçons et à ré-adapter certaines pratiques.
Ce qu’il n’est pas : Un livret théorique. L’outil vise à améliorer les façons d’être et de faire du terrain en les croisant avec des recherches plus théoriques citées après chaque exemple. Il n’est pas non plus destiné aux enfants, le public est l’adulte, professionnel-le, l’étudiant-e ou même les parents.
Ce qui nous a plu : D’une part l’approche ludique à partir d’un dessin représentant une situation, puis la déconstruction par l’approche de l’observation des études qui ont été menées et des solutions « pour mieux faire ». L’approche est simple et les personnes les moins sensibilisées aux inégalités peuvent s’emparer de ces questions. Est proposé, suite aux situations expliquées, un tableau d’observation avec des codages types qui peuvent servir de base aux lecteur-rices qui souhaitent mettre en place une observation. Le guide se termine avec un glossaire, une bibliographie, une filmographie, une sitographie. Ce document très récent et très complet est en outre proposé en libre accès par Le deuxième Observatoire (ici) ou à commander pour 10 CHF.

Isabelle Collet, qui a récemment utilisé ce guide comme support de formations, a posé pour nous quelques questions à Véronique Ducret.

IC : Le 2e observatoire a beaucoup travaillé sur le harcèlement sexuel et la violence faite aux femmes. Pourquoi avoir choisi de travailler maintenant sur la petite enfance ?
VD : Déjà en 2003, nous avions réalisé un film « Derrière les mots, derrière les gestes », tourné en crèche, pour mettre en lumière les comportements stéréotypés des professionnel-le-s à l’égard des filles et des garçons. Cet outil a servi de support pour le cours que nous avons donné aux étudiant-e-s de l’École d’éducateurs et d’éducatrices du jeune enfant à Genève. La socialisation différenciée encourage les enfants à se conformer aux attentes des adultes (parents, professionnel-le-s de la petite enfance). Elles et ils intériorisent très jeunes les rôles de sexe et vont adopter des comportements différenciés selon leur sexe. Par exemple, quand un garçon tombe et se fait mal, les adultes ont tendance à l’encourager à être fort et à ne pas pleurer. Cette attitude n’est pas un service rendu aux garçons, car ils intègrent qu’ils doivent montrer leur « virilité » et ne pas exprimer leurs émotions. Alors que nous savons que la violence conjugale s’explique notamment par la difficulté des hommes à communiquer verbalement et à exprimer leurs sentiments. Les filles, quant à elles, sont valorisées dans des activités de leur sexe. Elles sont davantage mises en valeur sur leurs apparences physiques ou dans des jeux stéréotypés féminins. Tandis que les garçons sont plus souvent encouragés à réussir une tâche (par exemple la construction d’un lego). La prise de conscience des professionnel-le-s de la petite enfance aux effets de la socialisation différenciée sur les enfants devrait se traduire par des changements de comportements et permettre un élargissement des horizons des filles et des garçons. Ce qui contribue à remettre en question les rôles traditionnels et les stéréotypes de genre, comme l’agressivité pour les hommes et la passivité pour les femmes.

IC : L’égalité filles-garçons et la lutte contre les stéréotypes sexués sont des sujets vastes. Comment avez-vous fait vos choix, pour que cette brochure reste brève, tout en apportant les informations nécessaires ?
VD : Nous avons observé les comportements des professionnel-le-s dans plusieurs institutions de la petite enfance de Suisse romande pendant deux mois. Les aspects traités dans notre guide reflètent ce que nous avons pu constater dans les structures d’accueil. Si les interactions entre professionnel-le-s et enfants étaient au centre de nos préoccupations, nous n’avons pas pour autant négligé les interactions entre pairs et les interactions entre professionnel-le-s et parents. Les pairs comme les parents contribuent à assigner des rôles sexués aux filles et aux garçons.

IC : Comment avez-vous fait connaître le document dans le canton de Genève ? Quels ont été vos soutiens ?
VD : Nous avons diffusé le guide dans toutes les structures d’accueil de Suisse romande et dans chaque canton, nous avons organisé des séances de présentation avec le concours des associations des professionnel-le-s et des directions ainsi que des services publics. Ces rencontres ont regroupé beaucoup de professionnel-le-s. A Genève, les trois communes, qui ont ouvert les portes de leurs institutions pour nous permettre de conduire des observations, ont mis sur pied des journées de formation pour l’ensemble de leur personnel avec la participation de Catherine Vidal, neurobiologiste, Nicolas Murcier, sociologue et Dominique Golay, sociologue. Dans ce cadre, nous avons présenté le guide et son utilisation.

IC : Quels sont vos premiers retours ?
VD : Les retours sont très positifs. Le document a reçu un excellent accueil. De nombreuses personnes ont commandé le guide pour disposer de leur propre exemplaire. Plusieurs écoles vont organiser des formations sur la socialisation différenciée avec notre concours. Des institutions nous ont demandé d’intervenir pour présenter le guide aux professionnel-le-s de leurs équipes, d’autres souhaitent que nous sensibilisions les parents. Des écoles des petits degrés sont également intéressées à utiliser l’outil. Une adaptation en allemand est prévue pour l’année prochaine.

Nous pouvons d’ailleurs confirmer les propos de Véronique Ducret. Lors d’une formation auprès de professionnelles de plusieurs crèches et d’une ludothèque de la région de Nay, en Midi-Pyrénées, nous avons pu constater que le fascicule était apprécié et surtout, parlait directement aux stagiaires présent-e-s.

Isabelle Collet, Université de Genève : http://www.isabelle-collet.net

Et vous, qu’en pensez-vous ? Réagissez en mettant un commentaire sur ce billet ou sur l’outil que nous vous proposons de découvrir. Toutes vos questions, vos remarques, vos expériences sont les bienvenues !