Dans le cadre des travaux préparatoires réalisés en vue de créer une exposition questionnant notamment la socialisation différenciée à la pratique sportive, Charlotte Simon, alors en stage de fin d’études à EgaliGone, a rassemblé en 2016 des savoirs existants et élaboré trois synthèses thématiques, dont celle-ci, évoquant l’histoire, le sexe et les violences dans le sport.


I – Les constats

 Le sport, une notion complexe

            Le Code du sport[1] le définit comme « toutes formes d’activités physiques et sportives qui, à travers uneparticipation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations socialesou l’obtention de résultats en compétitionde tous niveaux ». D’après l’Organisation des Nations Unies (ONU), il s’agit d’un « moyen de promouvoir l’éducation, la santé, le développement et la paix » (Les femmes, l’égalité des sexes, le sport, 2007). Ainsi, la compréhension du « phénomène sport » s’avère plurielle, selon la perspective à partir de laquelle le sujet se place. Récemment, la problématique du genre a émergé dans la recherche relative au champ sportif. Des auteur.e.s rappellent que « le sport, que l’on définit ici comme un ensemble de pratiques corporelles réalisées dans un but récréatif, hygiénique ou compétitif et dans un cadre réglementaire minimum, est un analyseur particulièrement intéressant des vulnérabilités de genre » (Robène, Charroin et Terret, 2013).


92% des français.e.sconsidèrent que « le sport doit rester un facteur de cohésion et d’intégration sociale » (TNS Sport, 2010).


            Les conceptions multiples du sport

Bien que les sociologues se soient intéressé.e.s tardivement au genre dans la pratique sportive, il.elle.s ont proposé de nombreuses visions du sport en tant qu’objet d’analyse. Ainsi, des études ont récemment mis en avant qu’il peut être un outil de démocratisation, puisqu’il représente « une avancée vers l’égalité socialeet l’accession du plus grand nombre aux pratiques perçues comme un enjeu de développement » (Augustin, 2014). D’autres auteur.e.s parlent de sport-capitaliste. En effet, il.elle.s le considèrent comme un opium du peuple « qui propose unevision mythologique du monde en soulignant la domination des hommes sur les femmes » (Brohm, 1977). Dans le même ordre d’idées, certain.e.s chercheur.e.s font état d’un système des sports (Pocciello, 1981). Il.elle.s le voient comme véhiculant « de manière durable et massive un système de valeurs dans lequel on retrouve les caractéristiques des groupes dominants qui l’ont institué, celle d’une bourgeoisie jeune, blanche, chrétienne, libérale et masculine » (Terret, 2004).


1) « Combien comptait-on de disciplines sportives en 2010 ?

a. 97 ; b. 280 ; c. 304 »[2]


            Les différents degrés de pratique du sport

            Bien que sorties du cadre réglementaire les organisant traditionnellement, les activités physiques et sportives restent inscrites dans la vie quotidienne des français.e.s et leur exercice se distingue à de multiples échelles. Pour commencer, la compétition est perçue comme le point d’orgue de la pratique du sport. Elle se caractérise par la possibilité de comparer les concurrent.e.s mis.es en présence et les compétiteur.trice.s s’étant soumis.es aux mêmes règles dans le temps. Dès lors, l’épreuve suggère que n’importe quel individu peut réaliser des prouesses sportives, sans que n’entre en considération sa couleur de peau, son sexe ou sa condition sociale. Ensuite, la pratique affinitaire consiste en l’inscription à un club en tant que licencié.e. Alors, il est possible de s’exercer dans un cadre institutionnalisé, généralement organisé par âge, sexe ou niveau, afin de participer à des compétitions. Pour finir, il faut distinguer trois niveaux de pratiques dans lesquels le sport est omniprésent mais pas exclusivement :

  • le hobby peut être perçu comme un « point de cristallisation de l’identité et comme moteur d’émotions » (Octobre, 2004). Si, parmi les hobbies, la domination du sport est incontestée, les activités culturelles (musique, danse, art, etc) sont largement favorisées ;
  • les passe-temps consistent en des divertissements plus standardisés comme, non seulement le sport (individuel ou collectif), mais aussi les médias (télévision, jeux vidéos, informatique) ; ou encore la sociabilité juvénile. Cette dernière passe notamment par les activités physiques et sportives comme, par exemple la partie de football informelle ;
  • les loisirs revêtent une dimension davantage ludique puisqu’ils sont réalisés sur le temps libre restant dans un triple objectif de détente, de divertissement et de développement. Ils concernent des occupations telles que la lecture, l’écoute de musique …

65% des français.e.s(France métropolitaine et DOM) âgé.e.s de 15 ans ou plus pratiquent une activité sportive au moins une fois par semaine (Enquête « Pratiques physiques et sportives en France », Centre National pour le Développement du Sport (CNDS), Direction des Sports et Institut National du Sport, de la Performance et de l’Expertise (INSEP), 2010).


2) « Qui a dit « Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devant être, avant tout, de couronner les vainqueurs » ?

a. Le soldat de Marathon ; b. Pierre de Coubertin ; c. Hitler. »[3].


         Une histoire du sport essentiellement écrite par les hommes, pour les hommes et sur les hommes

La naissance du sport moderne est datée à la moitié du XIXe siècle, en Angleterre, avec son institution dans les publics schools. Fréquentées par des garçons soumis à une stricte discipline et adeptes de jeux violents, des règles à visée éducative, d’entraînement et de maitrise physique et mentale sont mises en place dans ces écoles. Le terme « sport » est donc un mot anglais du XIXe siècle issu du français « desport » qui signifiait divertissement. La définition du sport donnée dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Laroussepermet de cerner la conception et la pratique de celui-ci à cette époque. Ainsi, il recouvre un « ensemble d’amusements, d’exercices et de simples plaisirs qui absorbent une portion assez notable du temps des hommes riches et oisifs ». Dès lors, les hommes sont les pratiquants historiques du sport.

En 1896, les premiers Jeux olympiques modernes(JO) sont organisés à Athènes à l’initiative de Pierre de Coubertin, alors président du Comité international olympique(CIO). Cet événement a pour objectif de consacrer l’esprit sportif défini dans la Charte olympique[4] comme « exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit » (Broucaret, 2012). Conformément au désir de leur créateur, ces JO sont exclusivement masculins. Le sport moderne a donc, en tant que reflet de la société dont il est issu, été construit par des organisations essentiellement composées d’hommes, pour des hommes, s’attachant à mettre les femmes à l’écart. Cette exclusion est justifiée par 3 arguments : le premier invoque la nature, le deuxième moralisant et le dernier lié à l’esthétique. Tout d’abord, la « nature féminine » est vue comme particulièrement vulnérable. Il est alors admis que la morphologie des femmes est plus fragile que celles des hommes et, par conséquent, moins adaptée à la pratique sportive. Puis, la mise en œuvre du corps impliquée apparaît indécente pour les femmes. En effet, elles sont considérées avant tout, eu égard à leur fonction sociale et biologique d’enfantement, comme des mères. Enfin, l’apparente laideur des femmes dans l’effort est avancée comme leur barrant l’accès à la pratique sportive, notamment par Pierre de Coubertin : « une olympiade femelle est impensable : elle est impraticable, inesthétique et incorrecte ».


En 1975, 38%des pratiquantes faisaient partie de la catégorie cadres supérieures-professions libérales,  9%à la catégorie ouvrières (Enquête Les femmes et le sport demandée par Françoise Giroud, alors Secrétaire d’Etat à la Condition féminine, 1975).


Le mouvement d’institutionnalisation du sport féminin débute, quant à lui, en 1910. Néanmoins, il faut préciser qu’il concerne principalement des femmes des catégories sociales aisées. En guise d’illustration, l’historienne du sport Cécile Ottogalli relève que l’Histoire a retenu Henriette d’Angeville comme pionnière sur le Mont Blanc en 1838 alors que, trente ans auparavant, une jeune servante de Chamonix, Marie Paradis, l’avait déjà gravi (Louveau, 2006). Finalement, les femmes purent participer aux deuxièmes JO en 1900, avec pour obligation de respecter la « décence » et éviter tout effort violent ou continu. Malgré cela, de nombreuses épreuves leur restèrent longtemps fermées (jusqu’en 1960 pour le 800 mètres, qui leur fut exceptionnellement accessible en 1928). Dans le même ordre d’idées, des disciplines olympiques ne furent ouvertes à une participation masculine que récemment dont, par exemple, la natation synchronisée,devenue sport olympique en 1984. En effet, il fallu attendre le mois de décembre 2014 pour que la Fédération internationale de natation autorise la possibilité qu’un duo mixte concoure, les hommes n’ayant pas, jusque là, l’autorisation d’y participer. En juillet 2015, cette mesure fut effective avec la participation de couples composés d’un nageur et d’une nageuse aux Mondiaux de Kazan. Pourtant, les premières compétitions de natation synchronisée, en 1891 et 1892, étaient réservées exclusivement aux hommes. In fine, il apparaît que le sport a historiquement été construit comme une arène masculine excluant les femmes et faisant de la domination masculine une relation apparemment naturelle ce qui a notamment donné lieu à une prédominance des jeux d’affrontements dans la pratique sportive.


En France, 44% des agricultrices et 27% des ouvrières ne pratiquaient aucun sport en 2000, contre 4% des cadres et membres de professions intellectuelles supérieures (Conseil de l’Europe, Égalité femmes-hommes Manuel de bonnes pratiques, n°2, 2011).


Une appréhension historiquement politique et géopolitique du fait sportif

À l’affirmation « ce n’est que du sport », il est possible de rétorquer que le fait sportif est fondamentalement politique voire, même, géopolitique. À la fin de la Première Guerre mondiale, le sport apparaît déjà, en France, comme un moyen de lutter contre les vulnérabilités physiques et psychologiques engendrées par le conflit afin de reconstruire la population. Ainsi, l’éducation physique ne dépend alors pas du Ministère dit de l’Instruction publique mais de celui de la Guerre. Par la suite, on assiste à une nouvelle appréhension géopolitique du sport. Les JO de Mexico en 1968 faillirent être boycottés car ils eurent lieu peu après une sévère répression de la part du régime envers les étudiant.e.s du pays. De plus, une autre polémique secoua ces Jeux puisque, lors de la remise des médailles et, plus particulièrement, lors de la montée du drapeau et de l’hymne américain, les deux coureurs américains Tommie Smith et John Carlos, arrivés respectivement premier et troisième au 200 mètres, levèrent un poing ganté de noir. Ce geste fut interprété comme une expression de leur soutien au mouvement politique des « Black Panthers »et leur valut une exclusion à vie des JO. Les JO de Munich en 1972 restent marqués par la prise d’otages d’athlètes israéliens par un groupe de terroristes palestiniens. Finalement, le sport apparaît clairement comme le nouveau terrain d’expression de la force des Nations.

L’exemple suivant est particulièrement parlant. Si, dès la Seconde Guerre mondiale, des « certificats de féminité » sont demandés aux compétitrices, il faudra attendre 1966 pour que, afin de faire face à l’afflux de faux, la Fédération internationale d’athlétisme instaure un véritable test de féminité consistant en un examen gynécologique avec contrôle des organes génitaux. Il avait pour objectif d’éviter la fraude en empêchant les hommes de concourir chez les femmes. Contraires à l’intégrité physique et morale des femmes, les examens sont réalisés par les autorités du CIO voire par les médecins des délégations eux-mêmes. Néanmoins, force est de constater que, dans le contexte particulier de Guerre froide, les soupçons apparaissent orientés géopolitiquement. En effet, ce sont les athlètes du « bloc de l’Est »qui deviennent la cible privilégiée des autorités olympiques. Ce doute sur le sexe des compétitrices sera intériorisé par les sportives elles mêmes comme, par exemple, l’athlète française Nicole Duclos qui raconte : « Moi, j’ai le souvenir d’une Yougoslave courant sur 800 mètres qui n’avait pas la morphologie, la musculature d’une femme. (…) Je pense qu’à l’époque, le test a dû être mis en place, justement, parce qu’il y avait des doutes sur beaucoup de personnes… notamment dans les pays de l’Est. Je ne fais pas de ségrégation quand je dis ça (…). J’ai couru avec une fille de 800, je courais derrière elle et je voyais ses cuisses et ses jambes, et son gabarit ne ressemblait en rien à une femme… ».  L’ordre sportif s’impose donc comme une véritable « police du genre » (Bohuon, 2012). Finalement, la problématique du sport comme enjeu politique est toujours d’actualité. En effet, les JO de Sotchi en 2014 ont clairement permis à la Russie de faire un étalage ostentatoire de sa puissance, tant athlétique et symbolique, que militaire et économique; tout comme ceux de Rio en 2016 qui, avec la polémique liée au dopage des athlètes russes notamment, amènent à se questionner sur la tournure que va prendre cet événement sportif.


82% des Français.es réfutent l’opinion selon laquelle « certains sports ne sont pas faits pour les femmes » (TNS Sport, 2010).


II- Les conséquences

            Une stricte division entre les sexes

« Les sports n’illustrent pas uniquement l’ordre sexué, mais participent à sa production et à sa reproduction. D’abord parce qu’ils fonctionnent en permanence sur le mode de la séparation des sexes. Très souvent les pratiques sont démixées. Même s’ils se croisent à l’entraînement, garçons et filles ne se mélangent jamais tout à fait dans les espaces (dont les vestiaires constituent l’exemple le plus évident, mais pas le seul), ni dans les exercices (qui sont le plus souvent « adaptés » pour les unes et pour les autres). Sous-tendue par l’idée d’une supposée impossibilité naturelle pour les femmes de rivaliser avec les hommes, la division sexuelle dans les compétitions sportives et par conséquent dans les pratiques apparaît comme la norme » (Penin, 2012).

La pratique du sport est donc strictement régie par un principe essentiel, à savoir celui de la division entre les sexes. Néanmoins, certain.e.s auteur.e.s avancent que les épreuves sportives n’ont pas toujours été ségréguées selon l’identité,voire l’identification sexuelle des participant.e.s. D’ailleurs, certaines disciplines sont restées partiellement mixtes : l’équitation, la voile ou le tir. L’objectif de cette discrimination peut être doublement comprise :

  • assigner les individus selon leur sexe à des rôles et à des répertoires spécifiques sur la base des prétendues aptitudes naturelles différenciées des femmes et des hommes;
  • pérenniser la relation dissymétrique, reposant sur un différentiel de pouvoir, en instaurant une médiatisation et une valorisation de certains sports plutôt que d’autres.

Infondée, cette classification genre n’est pas conforme à la difficulté, ni même à la dureté d’une pratique mais à sa proximité avec les attributs de la virilité.  Ainsi, « la danse classique, par exemple, emblème de la féminité, requiert une maitrise totale du corps et de la posture. Le simple fait de tenir sur les pointes est une des pratiques qui sollicite le plus de muscles du corps simultanément » (Bacou, 2014). Ainsi, il ne s’agit pas d’une domination des hommes au sens large mais celle des normes de virilité de telle sorte que même les hommes ne remplissant pas les critères sont assimilés à des « dominés » (Bourdieu, 1998).


En France, la présidence de ligues et comités régionauxdu mouvement sportif est assurée à 12,2% par des femmes et à 87,8% par des hommes (Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes, Chiffres-clés, 2015).    


Une division sexuelle se retrouvant dans le travail sportif

La division sexuelle du travail de l’encadrement sportif conforte la division entre les sexes régissant la pratique sportive. En effet, on retrouve peu de femmes aux postes de direction de clubs ou d’associations sportives et, lorsqu’elles y accèdent, elles occupent le plus souvent des postes subalternes en terme de prestige social, c’est-à-dire ceux de secrétaire ou de trésorière. De plus, elles ont également tendance à dévaloriser cet engagement qui est, généralement, bénévole. Ainsi, elles ne considèrent pas leurs fonctions comme un vrai travail et assimilent leur engagement associatif à du plaisir et / ou à la continuation de leurs rôles de mères. Elles continuent, à travers cet investissement, à veiller sur le devenir sportif de leurs enfants, inscrit.e.s dans le club en question. Au final, cette division sexuelle du travail sportif est le reflet de celle du travail professionnel et elle conforte la domination masculine s’y exerçant.

Le virus associatif à l’ombre du mari.

         « Pour C., son implication dans l’escrime est entièrement due au fait que son mari exerce la fonction de maître d’arme, c’est-à-dire d’enseignant d’escrime. Son investissement a été progressif. Dans un premier temps elle a commencé par « suivre comme maman d’escrimeurs ». En effet, ses trois fils ont tous pratiqué l’escrime en compétition, comme leur père. Se trouvant peu utile dans les gradins, elle a alors commencé par aider lors des compétitions où son mari arbitrait, en particulier en assurant le secrétariat. Puis est devenue « secrétaire d’un petit club, puis de deux » pour aboutir au poste de secrétaire de la ligue. Son investissement dans la direction de l’escrime couvre une longue période : 1973-2002 et plusieurs régions. En effet, son mari étant militaire, la famille a dû fréquemment se déplacer, ce qui n’a en rien empêché C. de s’investir. Effectivement, tout au long de ces vingt années, C. a assuré le secrétariat de tous les clubs repris ou créés par son mari. Faute de candidat, elle a également dû parfois assurer la trésorerie.

Néanmoins, elle dit préférer le secrétariat, qu’elle appelle souvent « paperasse », parce qu’il permet selon elle, d’avoir plus de contacts avec les adhérents. (…)

Elle a également assuré le secrétariat de deux ligues (…). Elle était également représentante de la Franche-Comté lors des assemblées générales de la fédération. (…) Cependant, suite en particulier à des problèmes de santé l’empêchant de se déplacer et donc d’assister aux réunions, mais suite également à une mésentente avec le président de la ligue, elle a décidé de quitter ce poste.

En 2003, découragés car les nouvelles normes les empêchaient de continuer à utiliser la salle qu’ils occupaient jusqu’alors, son mari et elle ont décidé, non sans peine, de fermer le petit club qu’ils avaient créé, il y a une dizaine d’années. Pourtant, même si C. n’a plus d’activités dans la direction de l’escrime, elle garde le contact avec de nombreuses personnes du milieu (…).

De plus, C. est sollicitée par de très nombreuses associations. Elle est ainsi présidente du club de pêche de son village, mais en assure également le secrétariat, suite au départ de l’ancien président : son propre mari. Elle est également secrétaire du Souvenir Français, non en réaction à un sentiment patriotique exacerbé, mais afin de rendre service à des amis militaires. (…) C’est à travers l’escrime et son mari que C. a découvert le système associatif. En effet aucun de ses parents n’avait d’activité bénévole. Depuis elle semble prise d’une frénésie associative. Pour elle, tous ses investissements ne représentent en rien une contrainte, elle dit d’ailleurs en avoir besoin. C’est une manière de se « sentir utile » mais aussi de se valoriser en revendiquant et en démontrant certaines compétences.

Ce profil singulier peut éventuellement trouver son origine à travers la vie professionnelle de C. En effet, celle-ci fait des études de secrétaire-comptable qui lui ont certainement permis d’acquérir certaines compétences (…) mais elle n’a jamais passé le diplôme car elle désirait être coiffeuse. (…) Après son mariage, elle a progressivement arrêté de travailler (entre temps elle a exercé le métier de coiffeuse) pour élever ses enfants. De plus, les déplacements fréquents engendrés par le métier de son mari ne facilitaient pas la reprise d’un emploi. C’est à cette période qu’elle s’est petit à petit investie dans le monde de l’escrime, ce qui lui permettait de conserver une vie sociale, de ne pas toujours être chez elle avec ses enfants, en particulier lors de leur séjour en Allemagne. (…) Sans regret apparent, C. dit avoir passé sa vie « dans l’ombre de son mari », même dans le milieu associatif ! », (Vieille Marchiset, 2004).

         Les liens inextricables entre sport, prostitution et guerre

S’il est connu et avéré que la guerre et la prostitution sont indéniablement reliées, cela semble moins évident pour le sport et la prostitution bien qu’il s’agisse d’un phénomène certain. Bien qu’il n’y ait pas d’études scientifiques la quantifiant, des faits empiriques largement relayés abondent dans le sens d’une intensification de l’activité prostitutionnelle dans le cadre d’importantes manifestations sportives (Jeux Olympiques, Euro de football, …). Cette massification concerne plus précisément les réseaux de proxénétisme ayant recours à des femmes étrangères, c’est-à-dire relevant du domaine de la traite des êtres humaines. En avril 2016, le Haut Conseil à l’Egalité(HCE) demandait, dans un communiqué de presse[5], que des mesures soient prises afin de « prévenir le recours à grande échelle à la prostitution. (…) Les grands événements sportifs précédents ont montré que quelques-uns d’entre eux (supporters) sont des clients habituels ou occasionnels de la prostitution et que d’autres, plus jeunes, s’initient à l’occasion de ces événements, lorsque faire la fête légitime tous les débordements. Les réseaux prostitutionnels, eux, sont capables d’anticiper longtemps à l’avance ces événements sportifs, qui sont pour eux l’occasion de profits gigantesques et alimentent une traite mondiale d’êtres humains (femmes originaires de pays pauvres dans leur immense majorité) ». In fine, le lien entre sexualité, sport et prostitution peut s’avérer particulièrement complexe, comme l’a également démontré l’affaire dite et concernant « Zahia » qui impliquait des footballeurs français[6].

 

            Une violence canalisée mais également exacerbée

Avant 1914, le sport est perçu comme violent et non adapté, notamment pour les jeunes. Néanmoins, « le sport est glorifié par la guerre » (Rozet, 1918) ; autrement dit, au début du premier conflit mondial, la jeunesse française est poussée à exercer des activités physiques. On assiste alors à la découverte du pouvoir de virilisation du sport. Ce processus d’acquisition de la virilité passe notamment par la pratique de la gymnastique qui, perçue utilitairement, concerne uniquement les garçons et les hommes, les filles et les femmes nécessitant, quant à elles, une gymnastique adaptée à la “nature féminine”.

D’autre part, l’exercice corporel enseigne également aux jeunes hommes à commander, mais aussi à supporter la douleur. Le cas du rugby est particulièrement propice à cet apprentissage puisque, au-delà d’exercer leur violence, les pratiquants apprennent également à la subir et, surtout, à la dépasser. Evoquée précédemment, la notion devirilité est donc éminemment relationnelle. En effet, elle se construit non seulement devant, mais aussi pour les autres hommes, ainsi que par opposition à la féminité. Cette dernière est comprise comme les caractéristiques spécifiques, ou considérées comme spécifiques, aux femmes et aux filles. Si la possession d’un « capital viril »implique une forme de respect de la part des pairs, elle laisse du même coup planer la menace du déclassement et, logiquement, d’une possible perte de reconnaissance sociale à l’encontre de ceux qui ne répondraient pas aux diktats de la virilité dominante. La peur d’être relégués dans la catégorie de ceux considérés comme faibles conduit certains à mettre en scène une certaine brutalité. Pierre Bourdieu parle de « fétichisme de la virilité » (1998) qui consiste, selon lui, en l’occurrence de rites d’institution, dont la pratique sportive fait partie, et qui donne lieu à une séparation sacralisante entre ceux qui sont socialement dignes de les subir et celles et ceux qui en sont à jamais exclu.e.s, c’est-à-dire les dominé.e.s dont, majoritairement, des femmes.

Néanmoins, la virilité peut rapidement apparaître comme un poids, voire comme un piège, puisqu’elle impose une tension et une contention permanentes à travers le devoir, pour chaque homme, de l’affirmer en toutes circonstances. In fine, l’omniprésence d’une violence exacerbée dans le sport s’exprime à travers « l’aspect combatif omniprésent dans les compétitions, les rituels sadiques d’initiation des recrues dans plusieurs sports d’équipe, ainsi que la violence des supporters lors d’affrontements « spontanés » pendant les matchs et lors des rituels de violence des hooligans au football » (Laberge et McKay, 2006).


Les accidents de la vie courante concernent à : 38% les jeux et loisirs, activités les plus accidentogèneset concernant essentiellement des pratiques sportives22% des pratiques directement associées aux activités sportivesAinsi, 60% des accidents de la vie courante sont liés aux activités sportives et de loisirs (Enquête permanente sur les accidents de la vie courante, Institut de Veille Sanitaire, 2006). 


88% des 246 décès traumatiques liés à la pratique sportive concernent des hommes (Institut de Veille Sanitaire, 2010).


Sportivation et masculinité hégémonique

Le concept de « sportivation » a été développé par Norbert Elias et Eric Dunning. Selon eux, le sport induit « un contrôle progressif de la violence en limitant les affrontements et en interdisant la mise en jeu de sa vie. (…) Une double fonction du sport permettant, d’une part, la libération des pulsions et des tensions dans des lieux scènographiques et, d’autre part, la régulation des pratiques par des codes, des règles, amenant à rejeter la violence la plus extrême » (Elias et Dunning, 1994). Ainsi, la pratique d’une activité physique peut effectivement servir de catharsis, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une libération des émotions. Cette dernière se réalise donc à travers un duel, réalisé seul ou à plusieurs, qui a pour objectif la mise à mort symbolique de l’adversaire, en d’autres termes la victoire. En guise d’exemple, Elias et Dunning citent notamment le football qu’ils assimilent à « une lutte passionnée, mais contrôlée, entre deux groupes » (Elias et Dunning, 1994). In fine, le sport consiste « toujours à livrer un combat contrôlé sur un champ de bataille imaginaire » (Elias et Dunning, 1994).

Paradoxalement à la « sportivation », les hommes sont soumis à une injonction à la masculinité et à la virilité. En effet, le concept de « masculinité hégémonique » désigne « la construction idéologique qui sert et maintient les intérêts des groupes mâles » (Connell, 1987). Dès lors, elle implique l’existence de diverses formes de masculinités, certaines étant dominées, d’autres marginalisées, et d’autres encore victimes d’oppression. L’auteur parle alors de « masculinité subordonnée ». La masculinité hégémonique est caractérisée par le fait, principalement, de ne pas perdre la face, surtout à cause d’un.e « dominé.e ». On distingue des marqueurs de la masculinité hégémonique dont, notamment, la compétition, l’agressivité, la loyauté envers le groupe, etc.


90% des 1 500 sportif.tive.s décédant chaque année par « mort subite » sont des hommes (Centre Hospitalier Universitaire de la Pitié- Salpêtrière, 2012).


In fine, la croyance selon laquelle le sport canaliserait la violence inhérente aux garçons et, donc, aux hommes est encore présente de nos jours. Ainsi, Jean-Louis Auduc explique que « l’activité physique, pour ces raisons, constitue un moyen d’accompagner les jeunes dans l’apprentissage d’une gestion calculée du risque et du danger, en fonction des règles établies au sein d’un cadre structuré » (2009) ; les raisons qu’il mentionne étant les tendances davantage développées chez les garçons à la violence et à la transgression que chez les filles. Cet argument confirme alors la pérennité du sport en tant que « fief de virilité » (Dunning, 1996).

 


Réponses aux questions : 1) b ; 2) b

 


Des outils pour vous aider :

Des expositions instructives et ludiques.

  • « Femmes, sport, éducation et citoyenneté, tout une histoire» : mise à disposition gratuitement[7], cette exposition a été créée par le Pôle de Ressources National – Sport Education Mixités Citoyenneté (PRN – SEMC).
  • « Femmes et Sports, au-delà du cliché »: cette exposition photographique a été réalisée par le Centre Départemental Olympique et Sportif (CDOS) de Gironde. Ce dernier a également mis en place un Observatoire de l’égalité femmes/hommes dans le sport.

Des fiches pédagogiques.

  • « Sportives en histoire » : basées sur l’étude « sensibilisation à l’égalité femmes/hommes, garçons/filles dans la pratique sportive », et créées par le PRN – SEMC et le Centre de Recherche et d’Innovation sur le Sport (CRIS) de l’Université Lyon 1, elles ont pour objectif de combattre les idées reçueset sont téléchargeables en ligne[8].
  • Les «fiches concept » et « fiches repère » :également téléchargeables[9]et créées par le PRN SEMC, elles sont particulièrement complètes.

Bibliographie

  • AUGUSTIN Jean-Pierre, « Mixité, genre et sports : les allégories de la « supériorité » masculine » ; BACOU Magalie, « La fabrique des filles et des garçons dans la sphère des loisirs » dans RAIBAUD Yves et AYRAL Sylvie (dir.), Pour en finir avec la fabrique des garçons, Vol. II Loisirs, sport, culture, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, Pessac, 2014, 270 pages.
  • BOCCARD Patrick, Les femmes ne sont pas faites pour courir, Belin, Paris, 2015, 71 pages.
  • Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, Code du sport, 2006, édition du 18 octobre 2015, 485 pages.
  • BOHUON Anaïs,Le test de féminité dans les compétitions sportives : une histoire classée X ?, Editions iXe, Monts, 2012, 183 pages.
  • BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Éditions du Seuil, Paris, 1998, 142 pages.
  • BROUCARET Fabienne, Le sport, dernier bastion du sexisme ?, Michalon, Paris, 2012, 285 pages.
  • Conseil de l’Europe, Égalité femmes-hommes Manuel de bonnes pratiques, n°2, 2011.
  • DAVISSE Annick et LOUVEAU Catherine, Sports, école, société : la différence des sexes. Féminin, masculin et activités sportives, l’Harmattan, Paris, 1998, 342 pages.
  • DE COUBERTIN Pierre,Pédagogie sportive, J. Vrin, Paris, 1922, 393 pages.
  • DUNNING Eric, « Sport as a Male Preserve : Notes on the Social Sources of Masculinity and its Transformations », Theory Culture and Society, 3 (1), pp. 79-89 dans ACETI Monica et JACCOUD Christophe (éd.), Sportives dans leur genre ? Permanences et variations des constructions genrées dans les engagements corporels et sportifs (vol. 3), Peter Lang, Berne, 2012, 180 pages.
  • DURET Pascal,Sociologie de la compétition, Armand Colin, Paris, 2009, 126 pages.
  • DURET Pascal,Sociologie du sport, P.U.F., Paris, 2012, 127 pages.
  • ELIAS Norbert et DUNNING Eric, Sport et civilisation : la violence maitrisée, Fayard, Paris, 1994, 392 pages.
  • EnquêtePratiques physiques et sportives en France, CNDS, Direction des Sports, INSEP, 2010.
  • Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse, 1863, 743 pages.
  • HAMDI Assia, « Natation synchronisée : la présence des hommes fait trembler les Russes », publié le 27 juillet 2015, consulté le 27 juillet 2016, (http://www.slate.fr/story/104609/hommes-natation-synchronisee-duo-mixte).
  • LABERGE Suzanne et MCKAY Jim, « Sport et masculinités » ; LOUVEAU Catherine, Inégalité sur la lignes de départ : femmes, origines sociales et conquête du sport, dans Clio, « Le genre du sport », n°23, 2006, 379 pages.
  • Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes, Chiffres-clés – Edition 2016, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, l’essentiel, 2015, 92 pages.
  • OCTOBRE Sylvie, Les loisirs culturels des 6-14 ans, La Documentation Française, Paris, 2004, 429 pages.
  • ONU, Les femmes, l’égalité des sexes, le sport, 2007, 43 pages.
  • PENIN Nicolas, Les sports à risques : sociologie du risque, de l’engagement et du genre, Artois Presses Université, Nancy, 2012, 348 pages.
  • POCIELLO Christian (dir.), Sports et société. Approche socio-culturelle des pratiques, Editions Vigot, Paris, 1981, 377 pages.
  • RAYBAUD Yves et AYRAL Sylvie (dir.), Pour en finir avec la fabrique des garçons, Vol. I A l’école, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, Pessac, 2014, 318 pages.
  • ROBENE Luc, CHARROIN Pascal et TERRET Thierry, Sport, genre et vulnérabilités, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2013, 773 pages.
  • ROZET Georges, « Les Jeux olympiques de France », Lectures pour tous, pp. 325-328, 1918.
  • THELOT Bertrand et RICARD Cécile, Résultats de l’Enquête permanente sur les accidents de la vie courante, année 2004, Réseau Epac, Institut de veille sanitaire, juillet 2006.
  • VIEILLE MARCHISET Gilles,Des femmes à la tête du sport : les freins à l’investissement des dirigeantes locales, Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2004, 260 pages.

Notes de bas de page :

[1]          Il s’agit de la « bible législative et réglementaire de la pratique sportive en France » (Boccard, 2015).

[2]          Question tirée du quiz proposé dans : BOCCARD Patrick, Les femmes ne sont pas faites pour courir, Belin, Paris, 2015, 71 pages.

[3]          Question tirée du quiz proposé dans : BOCCARD Patrick, Les femmes ne sont pas faites pour courir, Op. Cit..

[4]          Publiée en 1908, elle reprend des règles écrites par Pierre de Coubertin en 1899. La version actuelle date du 2 août 2015.

[5]          Pour consulter le communiqué de presse dans son intégralité, se rendre sur le site du HCE : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/actualites-69/article/euro-2016-le-hce-appelle-a

[6]          Afin d’avoir des détails, voir : http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/affaire-zahia-ribery-et-benzema-ont-ete-relaxes_518039.html

[7]          Pour l’obtenir, il suffit de signer la convention de prêt et de régler les frais d’acheminent et de retour. L’exposition est composée de 11 panneaux semi-rigides d’une hauteur d’1m80 pour 5 mm, le tout pesant dans les 40 kilos. Contactez le PRN – SEMC sur son site : http://www.semc.sports.gouv.fr/contact/?id=352.

[8]          Pour cela, se rendre sur le lien suivant : http://www.semc.sports.gouv.fr/outils-femmes-sports-et-mixite/.

[9]          Afin de les télécharger, aller sur : http://doc.semc.sports.gouv.fr/documents/Public/FC_integrale.pdf et sur http://doc.semc.sports.gouv.fr/documents/Public/FR_integrale.pdf.