Note de lecture : le mythe de l’enfant autonome et autodéterminé
Note de lecture : le mythe de l’enfant autonome et autodéterminé, Isabelle Collet, Véronique Le Roy dans L’égalité des filles et des garçons dès la petite enfance, Francine Hauwelle, 2014.
Les structures d’accueil de la petite enfance n’ont plus aujourd’hui seulement l’exigence de satisfaire aux besoins fondamentaux des tout-petits (alimentaires et hygiéniques). On attend aussi d’elles qu’elles préparent les enfants à leur entrée dans la vie scolaire, leur donnant donc un objectif pédagogique de savoir-vivre ensemble.
La transmission de normes genrées est intégrée dans ce système sans que les adultes véhiculant ces stéréotypes n’en soient conscient·e·s, et sans que cela soit remis en question : « Ces choses qui s’acquièrent […] (savoirs, compétences, représentations, rôles, valeurs) sans jamais figurer dans les programmes officiels ou explicites » (Forquin, 1985). Ces comportements (« une fille est mignonne, un garçon est costaud ») seront adoptés par les enfants comme membres à part entière de leur identité, en réponse aux attentes que la société leur soumet.
Les professionnel·le·s de l’éducation ont pourtant la volonté de considérer les enfants comme des individus autonomes et capables de se forger une identité propre, mais ces stéréotypes appris ferment le champ des possibles pour eux et hiérarchisent les compétences, considérées comme innées. Il est donc important que les membres du personnel de l’éducation et de l’animation suivent des formations permettant la remise en question de ces principes et l’application de nouveaux outils tendant à plus d’égalité.
Il est difficile d’affirmer que certaines compétences sont propres aux hommes et d’autres aux femmes, en raison d’un trop grand nombre de paramètres sociaux, culturels, historiques s’y mêlant. Etant donnée l’immense plasticité cérébrale de notre cerveau, surtout durant les quinze premières années de la vie, et les apprentissages très précoces des enfants, « nous sommes profondément des êtres de culture ». La socialisation a donc un très grand rôle dans la manière dont se modèle le cerveau, et il y a plus de différences entre les individus d’un même sexe que d’un sexe à l’autre. (Vidal, 2002).
Il est néanmoins confortable de séparer les aptitudes des filles et des garçons en deux classes distinctes, et c’est justement ce « pouvoir de prédiction » qui détermine les aptitudes futures des deux sexes…
La socialisation familiale véhicule un grand nombre de normes genrées : on attribue des qualités différentes à un bébé en fonction de son sexe annoncé (robuste pour un garçon, douce pour une fille) ; lorsque les enfants répondent aux stéréotypes par un stéréotype, les parents les encouragent, les amenant à reconduire ces comportements. L’intérêt à certains jouets est aussi poussé dans le sens de la norme genrée. Les compétences se différencient donc rapidement puisque les activités ne sont pas les mêmes.
Les enfants se reconnaissent dans des groupes féminins ou masculins, pourtant « la distinction sexuelle à ce très jeune âge n’est pas entachée de croyances relatives à la supériorité d’un sexe sur l’autre ; elle s’apparente davantage à un constat, au relevé d’une différence dans laquelle émerge une valorisation relative du groupe d’appartenance, masculin ou féminin » (Lorenzi-Cioldi, 1998, p. 99).
Pourtant les adultes vont attribuer aux préférences d’activités des enfants certaines idées. Si une fille se tourne vers des jeux majoritairement pratiqués par des garçons, on ne lui en tiendra que peu rigueur, car cet univers est vu comme ayant une plus grande valeur, mais à l’inverse un garçon se fera vite réprimandé s’il s’intéresse aux jeux utilisés par les filles car un doute sur sa virilité et son orientation sexuelle va très vite s’installer. Ces interdits sont très rapidement intégrés ; en plus de mettre en place une différenciation entre les sexes, cela marque une hiérarchisation des valeurs : l’univers « masculin » est un univers faisant office d’universel, l’univers « féminin » n’est pas empruntable pour les garçons car l’idée est transmise qu’ils devraient en avoir honte.
« Le genre est la construction sociale du sexe, c’est-à-dire l’ensemble des attributs et des comportements qu’une société donnée, à une époque donnée, va attribuer aux êtres identifiés comme mâle et femelle, permettant ensuite de définir ce qui est jugé comme masculin (attribué aux hommes) et comme féminin (attribué aux femmes). »
Il pose aussi une hiérarchie entre ces différences sexuées, donnant plus d’importance au masculin qu’au féminin. Ces différences sont organisatrices de la société, « on rejette alors dans l’anormal tous les individus qui refusent de s’y soumettre ».
En cherchant à mettre en place une éducation active pour les enfants, où eux-mêmes décident des activités vers lesquelles ils·elles souhaitent se tourner, dans un environnement protecteur le leur permettant, on ne prend pas forcément en compte la variable genre, présente dans l’esprit des éducateurs·trices et des enfants eux-mêmes ou elles-mêmes sans qu’elle soit pourtant évoquée consciemment. Cela suppose donc une reproduction des inégalités précédemment décrites, puisque l’enfant « va avoir recours au système de valeurs et aux représentations inhérentes à toutes interactions sociales ».
Pour les éducatrices (ou éducateurs) d’une crèche, la question d’adhésion à un genre plus qu’à un autre (« ressembler à une vraie petite fille ») n’a rien à voir avec l’égalité des sexes alors que ce discours véhicule un certain nombre de comportements réducteurs et inégalitaires, puisque ressembler à une « vraie fille » c’est se déguiser en princesse dans le discours commun, et les valeurs associées aux princesses sont la douceur, la vulnérabilité, la passivité…
Elles (ou ils) pensent laisser les enfants libres d’intervenir quand ils ou elles le souhaitent sans faire de distinction fille-garçon, alors même que la socialisation encourage plus les garçons à investir l’espace extérieur et donc à prendre la parole. De plus, laisser l’enfant choisir ses activités, ses intérêts est bénéfique lorsque l’environnement de l’enfant l’encourage à faire de même, mais s’il ou elle gravite dans un milieu normatif, son libre-arbitre est biaisé par des choix pré-determinés… dans ce cas-là, il faut tenter de sortir l’enfant des activités choisies pour l’encourager à explorer autre chose. Il serait bon aussi penser à la remise en question des coins jeux, manquant de neutralité.