Le spectacle “Des femmes”, par la Cie Encorps
Cet article a fait l’objet d’une modification avec changement de photo le 17 février 2015, après une première publication le 4 février 2015.
Anne Baptiste, étudiante en lettres, vient de rejoindre notre collectif EgaliGone. Elle est allée voir le spectacle “Des Femmes” de la Cie Encorps, que nous avions annoncé dans notre lettre d’information de janvier et nous livre ici sa synthèse du propos, ses ressentis et ses questionnements de spectatrice. Après cette représentation, il n’y a pas eu de débat, mais nul doute que les assignations selon le sexe, leurs causes et les moyens d’y échapper seraient au coeur des discussions. Bonne lecture !
“Synopsis :
Des Femmes est un spectacle de La Compagnie Encorps auquel j’ai assisté le 18 janvier 2015 au Théâtre Espace 44 (1er arrondissement de Lyon). Il s’agit d’une création collective produite par l’association La Maison d’Elliot, d’après un texte de Cécile Caitucoli. Voici le synopsis du spectacle : « Quatre échantillons de femmes font l’objet d’expériences. Le monde les teste, comme dans un laboratoire. L’Humanité agit sur elles. Quatre figures de femmes qui s’unissent, deviennent uniques, deviennent femmes. »
La pièce est un huis-clos dans lequel les quatre actrices interprètent chacune un « échantillon de femme » : la Femme Émotions (Lou Hingouët), la Femme Intellect (Caroline Malandran), la Femme Icônes (Juliette Paire) et la Femme Corps (Vanessa Vierne). Le décor est sobre, censé évoquer un laboratoire : des rideaux blancs et un sol en carrelage noir et blanc. Les actrices portent le même costume blanc (des bandes blanches qui relient entre eux leurs sous-vêtements), qui rappelle un peu celui porté par Milla Jovovich dans Le Cinquième Élément de Luc Besson. Lorsque l’on pénètre dans la salle, une scène est déjà en train de se jouer de façon muette : elle se répète plusieurs fois avant le début de la pièce.
Les différents personnages se présentent.
La Femme Intellect représente les « grandes penseuses féminines du siècle ». Elle est convaincue que tant qu’elle pourra parler à voix haute, elle demeurera « libérée des déterminismes ». Elle affirme que la société ne respecte pas les victimes, et que pour obtenir le respect d’autrui, il faut se respecter soi-même.
La Femme Icônes représente « les caractéristiques spécifiquement féminines ». Elle se définit comme omnisciente et nécessaire, à la fois « Lilith et Ève ».
La Femme Émotions représente les émotions des femmes. Elle se dit trop pleine des émotions des autres, et souffre de l’intensité des émotions qui la traverse.
La Femme Corps représente le corps des femmes : « épanoui, sensuel, fertile, animal, meurtri ». Contrairement aux autres, elle a à la fois la capacité de parler directement et en voix off préenregistrée.
Elles ont toutes les quatre perdu la mémoire, et ne savent pas pourquoi elles se trouvent dans la pièce. Elles découvrent alors des étiquettes collées dans leur cou qui leur attribuent à chacune leur nom, leur désignation. La Femme Intellect estime qu’il doit exister quelque part une autre pièce où des hommes sont pareillement enfermés.
Le spectacle se divise en quatre étapes, dont les titres sont affichés par projection sur les rideaux blancs : l’origine, le conflit, la révolte et l’envolée.
L’origine présente une conversation entre la Femme Icônes, la Femme Intellect et la Femme Émotions. Cette-dernière souffre et est dans une profonde angoisse : elle a peur d’être folle. Elle parle d’un de ses cauchemars. Elle ne supporte pas d’être contrôlée par les émotions d’autrui, d’être envahie par les autres. Alors que la Femme Icônes lui propose son aide et que la Femme Émotions la refuse, la Femme Intellect intervient. Elle explique qu’il faut « extraire les préjugés ou l’obscurantisme placés en nous par la société » et propose à la Femme Émotions de « se contrôler soi-même pour contrôler ce qui ne dépend pas de soi ».
Le passage vers l’étape suivante se fait en musique, en images (projetées sur les rideaux) et en danse pour trois des personnages. La musique gagne en puissance, devient rythmée, ressemble à de la techno. La Femme Icônes dira qu’il s’agit de « la musique du monde ». Cette musique est l’occasion d’un échange entre la Femme Intellect et la Femme Corps sur l’intérêt de la musique : inutile ou nécessaire ?
Le conflit est celui qui oppose la Femme Intellect et la Femme Icônes. Cette-dernière reproche à l’autre de ne pas avoir dansé pendant l’intermède musical, de ne pas jouer le jeu et de se dissimuler derrière ses réflexions intellectuelles. La Femme Intellect reproche à l’autre de prétendre tout maîtriser tout en ne les aidant pas à résoudre l’énigme de leur enfermement. En effet, la Femme Icônes avait expliqué être la créatrice des trois autres femmes : elle serait une femme entière, alors que les trois autres femmes ne seraient qu’une partie d’elle-même. La Femme Icônes avait donc prétendu qu’elle maîtrisait la situation, ainsi que le destin des autres. Elle se disait libre de choisir de quitter la pièce à tout moment.
Interviennent alors des images de la Seconde Guerre Mondiale projetées sur le rideau. La panique qui s’empare de la Femme Icônes l’oblige à révéler qu’elle a menti, qu’elle ne contrôlait rien de ce qui leur arrivait : elle aime son reflet, et voulait être aimée pour exister. La Femme Émotions, sur laquelle les images ont eu un effet de catharsis, peut participer sereinement au débat. Elle reproche son attitude à la Femme Icônes. La Femme Icônes et la Femme Intellect réalisent qu’elles n’ont pas choisi qui elles sont. La question est : auraient-elles toutes les quatre été différentes si les étiquettes qui les désignent avaient été disposées différemment ?
La révolte consiste pour les quatre femmes à décider qu’elles vont désormais exister par elles-mêmes, « ne pas être des cobayes ». Chacune expose ce qu’elle espère obtenir ou devenir en se révoltant. La Femme Icônes veut avoir une vraie personnalité, « à nulle autre pareille ». La Femme Émotions veut ressentir un « amour vrai », non destructeur. La Femme Intellect veut être « créatrice de son existence », et refuse d’être « le ricochet de l’Histoire de l’Humanité » : elle veut écrire et se faire entendre. La Femme Corps veut pouvoir porter les vêtements qu’elle souhaite, avoir « le droit d’être inconvenante », être libérée des autres. Toutes quatre arrachent finalement leurs étiquettes et dansent ensemble de façon chorégraphiée et en musique.
L’envolée est la dernière étape : c’est le moment où les actrices saluent, la fin de la pièce.
Avis et critique
Un très bon spectacle, parfaitement joué et mis en scène. Je m’y étais rendue sceptique (le synopsis me faisait redouter un brassage de stéréotypes sur les femmes), j’en suis sortie comblée, bouleversée.
On peut toutefois regretter que la Femme Icônes se dise représentante de « caractéristiques spécifiquement féminines », qui ne seront jamais définies durant le spectacle. On découvre en effet une Femme Icônes narcissique, totalement dépendante du regard des autres, qui ment pour se donner une image de grandeur. Son personnage a un besoin désespéré d’exister pour les autres car elle n’existe pas pour elle-même. En quoi peut-elle être considérée comme une représentante des « caractéristiques spécifiquement féminines » ? Était-ce un mensonge de sa part, un rôle qu’elle se donnait ? Dans tous les cas, quelles sont ces « caractéristiques » ? Qui les a définies ? Plus encore, existe-t-il vraiment des « caractéristiques spécifiquement féminines » ?
Par ailleurs, la fin, l’envolée, me semble floue. Qu’est-ce qui a libéré ces femmes ? Dans tous les cas : pourquoi et comment se sont-elles libérées ? Le synopsis du spectacle indique qu’elles « deviennent femmes ». En quoi leur libération les fait-elle devenir plus femmes qu’elles ne l’étaient déjà ? N’est-ce pas plutôt devenir soi ?
Plus encore, de quoi se sont-elles libérées ? Qu’est-ce qui les retenaient captives ? Étaient-elles en réalité leur propre tourmenteur ? Ne se retenaient-elles pas elles-mêmes enchaînées en suivant les indications données par les étiquettes derrière leur cou ? C’est bien ce que suggère la pièce.
L’idée semble être qu’il suffit à ces femmes de prendre conscience de l’enfermement causé par leurs étiquettes pour s’en libérer. Ces étiquettes seraient alors une métaphore des injonctions de la société. Mais la complexité et la diversité des injonctions sociétales envers les sexes peut-elle être résumée par quatre étiquettes ? Peut-on vraiment s’en libérer uniquement par soi-même ? La réponse à ces deux questions me paraît être négative.
En effet, deux éléments sont problématiques. Le premier est l’idée que ces femmes se libèrent elles-mêmes. Les interventions de la Femme Intellect vont toujours dans ce sens : les femmes doivent se prendre en main, se contrôler, se respecter et extraire les préjugés pour devenir maîtresses de leur destin. Cette vision de la libération des femmes est plutôt culpabilisante, puisqu’elle fait entièrement reposer sur les épaules des femmes la responsabilité de se sortir de leur situation. Alors qu’elles sont en réalité les victimes d’un système, elles seraient les victimes de leur incapacité à se rendre libres. Cette vision oublie le rôle du collectif humain, de l’extérieur, et fait passer les femmes pour leur unique bourreau. Il semble pourtant que seul un mouvement de la société dans son ensemble, avec l’intégralité de ses acteurs, permettrait une égalité réelle entre les sexes. Le rôle de la société est malheureusement réduit à son minimum dans la pièce.
Le second élément est la place des hommes. La Femme Intellect explique qu’il existe peut-être un endroit où des hommes subissent la même chose. Pourquoi cette idée n’a-t-elle pas été plus creusée ? Le conditionnement social joue aussi sur les hommes, eux aussi sont enfermés par des stéréotypes. Peut-être aurait-on pu mettre plus l’accent sur cela, sous peine de laisser penser que seules les femmes sont victimes de sexisme. On aurait même pu imaginer une pièce avec des acteurs des deux sexes et plus d’« échantillons », de façon à mieux saisir les ressemblances et les différences des injonctions sociétales entre les sexes. Puisqu’ils en subissent tous deux, la pièce aurait offert une image plus véridique de la société.”
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