L’histoire d’à côté
Conception et partage de Violaine Dutrop pour L’institut EgaliGone – Merci de citer la source si vous vous en inspirez pour votre propre pratique d’animation.
Version PDF de cette pratique partagée
Objectif : Faire consensus dans un groupe sur la diversité et la réalité du sexisme ordinaire
Intention de départ : En général, je propose cette séquence en début de formation (mais elle peut constituer une sensibilisation en elle-même), pour :
- Construire le groupe, c’est-à-dire créer du lien entre les personnes, leur donner envie de s’impliquer, de participer,
- Légitimer d’entrée la nécessité de réfléchir ensemble au genre et à ses effets,
- Commencer une réflexion individuelle et collective sur le genre comme système et sur ses effets problématiques sur les personnes.
Que les personnes se connaissent ou pas, qu’elles soient venues volontairement ou non, cet atelier les fera avancer dans leurs questionnements sur le genre et l’égalité, sur le juste et l’injuste, sur ce qu’elles ont vécu elles-mêmes, sur ce que d’autres vivent et sur les attentes sociales qui façonnent les personnes dès la petite enfance selon leur sexe de naissance.
Durée : Pour une assemblée d’une dizaine de personnes, il me faut entre 45 minutes et une heure trente, selon le degré d’analyse des situations dans lequel je vais faire cheminer le groupe.
Préparation :
- idéalement 8 personnes minimum,
- placement en U,
- idéalement un tableau pour prendre des notes.
L’animation se déroule en 5 étapes :
Etape 1 : L’échange en binôme.
Etape 2 : La restitution croisée.
Etape 3 : Réactions et éléments d’analyse.
Introduction
J’annonce aux participant.es que nous allons faire ensemble un partage d’expérience et que j’ai nommé la séquence « l’histoire d’à côté ». Et bien sûr, qu’elle est participative.
Les termes du contrat E.B.I. préalable « Ecoute / Bienveillance (non jugement) / Implication » sont ensuite partagée avec le groupe.
Etape 1 : L’échange en binôme
Je demande aux participant·es de se constituer en binômes.
Si quelques personnes se connaissent déjà entre elles, je leur propose de se rapprocher d’inconnu·es. Intentions de cette proposition :
- Le changement de places provisoire est un mouvement dans la pièce qui met d’entrée les participant·es en action et en dialogue (Peut-on faire l’exercice ensemble ? Je peux me mettre là ?, etc.).
- Les échanges au sein du groupe seront favorisés ensuite (la glace est brisée rapidement).
Si le nombre est impair, je participe à la séquence en prenant place au sein d’un binôme.
La consigne est la suivante :
Vous disposez de 10 à 15 minutes, pour tour à tour vous présenter rapidement à votre binôme et ensuite lui relater une situation que vous avez vécue ou dont vous avez été témoin dans laquelle l’enfant ou l’adulte est destinataire de :
- soit une injonction reçue de type ‘telle chose t’est réservée parce que tu es une fille / un garçon’,
- soit une interdiction de type ‘telle chose n’est pas pour toi parce que tu es une fille / un garçon.’
Cela nous intéressera ensuite de savoir quels sentiments, quelles émotions cette histoire a fait naître chez vous, donc vous les décrirez à votre binôme.
A l’issue des 10-15 minutes d’échanges, je vous demanderai non pas de restituer votre propre histoire mais celle de votre binôme, que vous aurez préalablement présenté·e. Il s’agit donc pour chacun et chacune d’entre vous de bien écouter l’autre pour être assez fidèle à son récit lorsque vous le restituerez, tout en restant indulgent·e si la restitution de votre récit n’est pas complètement exacte. N’hésitez pas à prendre des notes, à reformuler, à demander des précisions et faites-vous confiance.
Précisions si besoin :
- L’injonction ou l’interdiction peuvent être formulées de façon évidente (ex. : « pour les filles », « les garçons, venez faire telle chose ») ou sous-entendues (ex. : Tu es sûr·e que tu as ta place ? Et si tu allais plutôt ailleurs ?)
- Tous les domaines de la vie peuvent être abordés (les vêtements, l’espace public, les cadeaux de Noël, la vie de famille, les loisirs, l’école, le travail, etc.)
Variantes dans la consigne :
- Situations exclusivement vécues par soi-même
- Situations exclusivement vécues dans le cadre professionnel (si l’objectif est de recueillir des situations éducatives pour les retravailler ensuite)
Quand la moitié du temps est écoulée, j’indique qu’il est temps d’inverser les rôles.
Quand le temps est écoulé, je demande que tout le monde revienne à sa place.
Intentions de cette étape :
- Positionner toutes les personnes du groupe en écoute, en empathie, en confiance et en réciprocité
- Permettre, par une première prise de parole en binôme, d’inclure les personnes qui ne seraient pas à l’aise pour parler en public, surtout à propos d’un vécu personnel
- Laisse le choix de la situation relatée (situation intime ou non, être témoin ou protagoniste)
- Permet aux personnes d’identifier leurs émotions, de les nommer (et peut-être de constater que cet exercice est rare, que les mots des maux manquent parfois)
Etape 2 : La restitution croisée
Je propose de commencer la restitution croisée en commençant par un des deux côtés du U. La première prise de parole vise à présenter la personne en bout de table et son anecdote.
Commence le tour de table « X va présenter Y et nous racontera sa situation, puis Y présentera X et sa situation ».
Si personne n’a changé pas de place, le tour de table s’enchaine visuellement assez simplement, sinon, quelques croisements sont à prévoir, ce qui peut conduire à des tâtonnements qui font sourire les personnes.
Au fur et à mesure, en tant qu’animatrice de la séquence, je :
- Note au tableau le prénom de la personne présentée, l’essentiel de sa situation (en notant par G ou F, ou H ou F selon la personne concernée) ainsi que la ou les émotions ressenties qu’elle a identifiées dans son récit,
- Relance si les émotions ont été oubliées dans le récit ou dans la restitution,
- Demande si une précision importante manque au récit afin qu’elle puisse être ajoutée (je précise alors que « c’est normal, l’exercice d’écoute, de mémoration et de restitution peut être inhabituel, donc difficile »),
- Remercie les deux participant·es, pour la confiance accordée et pour la restitution.
Intentions de cette étape :
- Positionner chaque personne en écoute, en ouverture, en accueil et en respect des situations vécues par toutes les autres dans le groupe
- Positionner chaque personne en confiance et à égalité de posture avec les autres participant·es
Etape 3 : Réactions et éléments d’analyse
Une fois toutes les situations exposées, les émotions précisées, je propose de commenter ensemble ce qui est au tableau.
J’aide les participant·es avec une liste de questionnements possibles sous la forme de relances :
- Qu’avez-vous envie de dire pour commenter ce que nous avons noté ?
- Quels thèmes / sujets / domaines les situations touchent-elles ?
Je les indique sur le tableau dans une autre couleur au fur et à mesure de leur évocation par les participan·tes. Exemples : « SPORT », « ESPACE PUBLIC », « VÊTEMENTS », « TÂCHES DOMESTIQUES », « JEU/JOUETS », « LOISIRS, « TRAVAIL », « SEXUALITE », etc.
Après cette question, je précise : « Vous voyez apparaître une diversité des situations, des domaines de la vie, dans lesquel·les nous pouvons être empêché·es, conditionné·es selon le sexe qui nous a identifié·es à la naissance ».
- Quel·les sont les injonctions et les empêchements qui concernent plutôt des garçons ou des hommes, celles et ceux qui concernent plutôt des filles ou des femmes ?
Après la prise de parole j’ajoute deux propositions de réflexions :
- « Vous voyez que les garçons puis les hommes se voient interdire certaines expériences ou certains comportements qui sont associé·es au féminin : sinon… que risque-t-il de se passer pour eux ? ».
Il s’agit notamment ici de faire apparaître que la valeur du masculin se construit en opposition ou en rejet du féminin, c’est-à-dire dans sa dévalorisation avec l’intériorisation d’une hiérarchie de valeurs masculin > féminin (ce qui est au fondement des rapports de genre et de la domination masculine).
- « Et pour les filles : qu’est-ce qui est attendu d’elles ? ».
Il s’agit notamment ici de faire apparaître les rôles-types généralement attendus des femmes (séduction / domesticité / maternage) et les différentes formes par lesquelles ils sont exprimés (vêtements, compétences et activités, intériorisation de sa valeur, etc.).
- Que se passe-t-il pour les personnes qui transgressent ces « règles du genre » ? Qu’est-ce qui est en jeu ?
Si j’ai le temps (et les connaissances adéquates en sciences humaines et sociales), après les prises de paroles et selon le temps dont je dispose, je fais des liens avec des savoirs théoriques ou des données chiffrées que je trouve utile de partager pour montrer que des vécus qui nous semblent anodins font l’objet d’études et de savoirs, de concepts, de réflexions, de données et même de controverses (Exemples de sources : E. Goffman sur les thèmes de la galanterie ou des toilettes différenciés dans « L’arrangement des sexes », F. Héritier « La valence différentielle des sexes », I. Lowÿ « Avoir un homme dans la tête », R. Connell « La masculinité hégémonique », etc.).
Intentions de cette étape :
- Faire émerger dans le groupe des éléments de diagnostic sur les inégalités de genre à partir des vécus des personnes, grâce à une position de retrait de la personne animatrice.
- Faire apparaître la diversité des domaines dans lesquels le genre opère, sans le nommer à ce stade, afin de mettre en avant la transversalité, la force de d’un système qui façonne les identités selon le sexe identifié et déclaré à la naissance.
- Eviter les discussions et objections, le déni que pourrait soulever un diagnostic descendant ou la perception d’un discours généralisant ou victimaire (« vous êtes une femme », « votre discours est orienté », « toutes les femmes ne sont pas comme ci », « tous les hommes ne sont pas comme ça »…)
Conclusion
Je propose un tour de table pour faire exprimer comment a été vécue la séquence (étonnements / vécu / intérêt / possibilité de s’en emparer…).