Et si nous donnions la parole à des intervenant·es qui forment les personnels de l’éducation à des pratiques professionnelles égalitaires ? Voici le témoignage de Candice, qui relate une expérience en crèche.


Par Candice Barret, intervenante La Puce à l’Oreille, lapalo-egalite.fr

Je retourne à la crèche !

Mais cette fois-ci du côté des adultes et des professionnelles pour réfléchir en équipe et repenser sa posture et ses pratiques à travers le prisme de l’égalité des genres ! 

En chaussettes, au milieu des jouets et des tapis nous commençons la formation. D’abord timides, chacune prend la température, appréhende aussi parfois : le sexisme c’est un sujet délicat, et le mot genre – encore trop souvent galvaudé – peut en effrayer plus d’une et créer des réticences… De plus, la frontière entre le pro et le perso sur ce sujet est bien souvent poreuse, on a vite fait de glisser sur une anecdote intime, d’évoquer son histoire, de rebondir sur ce qu’il se passe à la maison… Tant pis je me lance ! Je sais qu’une grosse partie de mon travail introductif sera de les mettre en confiance, de les aider à s’emparer du contenu, sans les brusquer mais en sollicitant leur participation, plus que nécessaire pour enrichir la formation.

Je sais par expérience que très vite, dès lors que nous allons rentrer dans le vif du sujet je vais avoir le droit à cette même phrase, qui revient comme une ritournelle, ou comme un mécanisme de défense – il faut montrer patte blanche – :

Nous, on ne fait pas de différence entre les enfants”, c’est dans les familles ou à l’école !“.

Et les parents accusent les institutions, et les écoles le périscolaire, et le périscolaire l’éducation nationale, etc… Où que j’intervienne on se renvoie la balle.
 Il faut bien trouver un.e coupable !

 
Mais qui peut bien transmettre des stéréotypes et faire infuser des comportements genrés dans la tête de nos enfants ? Y aurait-il des personnes mal intentionnées ? Sommes-nous vraiment conscient.es que nous reproduisons et appliquons une socialisation différenciée à travers notre langage, notre posture, nos sollicitations et nos encouragements auprès des enfants ? 

Hop, c’est parti pour une matinée conscientisation mais surtout, vous l’aurez compris, DÉCULPABILISATION. Car OUI, nous sommes tous et toutes concerné·es par la transmission de stéréotypes sexistes, inconsciemment et de façon involontaire, pour la plupart, évidemment. Personne n’en est exempt, personne n’est exemplaire spontanément. Apprendre à repérer et identifier les biais sexistes pour pouvoir réajuster sa posture est un travail de longue haleine, c’est une gymnastique de l’esprit qui n’est pas aisée au début et implique de se tromper, de s’y reprendre à deux fois, de s’améliorer perpétuellement. 

Et c’est bien par-là que débute notre première étape de réflexion :  comprendre que le genre est partout, tout le temps, qu’il se glisse de façon insidieuse dans les moindres recoins de notre quotidien professionnel lorsque l’on travaille avec des enfants. Démoralisant me diriez-vous ? Pas du tout, puisque je pars du principe que nous avons tous et toutes une capacité à donner le change, à proposer autre chose et à ouvrir le champ des possibles aux enfants ! C’est bien là d’ailleurs tout l’objectif de notre formation, de repartir outillée avec des bonnes pratiques clé en main à mettre en place dans sa structure. Mais aussi, de repartir enthousiaste à l’idée de pouvoir s’engager concrètement en équipe en faveur d’une pédagogie égalitaire, éclairée et émancipatrice dès le plus jeune âge.

Nous ne sommes donc pas là pour se pointer du doigt ou s’auto-flageller :  NON, au contraire, nous sommes là pour monter en compétences en équipe. Car c’est bien de cela dont il s’agit, de compétences professionnelles qui s’acquièrent, se travaillent, et qui donnent du fil à retordre aussi parfois !

Il s’agira de passer au peigne fin sa pratique, d’entamer un travail réflexif qui peut parfois s’avérer périlleux car il n’est jamais simple de venir chambouler nos habitudes et remettre en perspective notre façon de travailler. Ainsi, cela demande toujours un peu de courage de venir chausser, ce que les formatrices en égalité nomment, les lunettes du genre.

 Kesaco les lunettes du genre ? C’est une métaphore pour évoquer la posture d’apprentissage que les professionnelles vont incarner tout au long de la journée. Ces lunettes offrent une lecture du monde à travers le prisme du genre, c’est-à-dire qu’elles ne font pas fi du sexisme ordinaire souvent banalisé, ni des stéréotypes de genre admis et normalisés. Au contraire, elles viennent (re)mettre tout cela en lumière. Une vision infrarouge, en quelque sorte, qui permet de rendre visible ce qui ne l’était pas jusqu’à présent. Un accessoire pour justement faire un pas de côté et accepter une lecture neuve de nos représentations. L’objectif n’est ni plus ni moins que de venir muscler son regard pour qu’il soit plus aiguisé, plus aguerri et qu’il parvienne à déceler les discriminations, les violences et les injustices qui découlent du genre.

Une fois les lunettes bien en place et ce premier socle de connaissances en commun posé avec une matinée riche en théorie et concepts, nous passons la deuxième partie de la journée à décortiquer des études de cas avec des vignettes éducatives tirées de la réalité de leur terrain. Il sera alors question désormais d’apprendre à réagir et à se positionner en faveur de l’égalité auprès des enfant. Ces mises en situations sont aussi un excellent prétexte pour amener les professionnelles à échanger et trouver des solutions ensemble. En prenant des exemples caricaturaux, cela permet aussi de dédramatiser le sujet, de grossir le trait pour justement proposer des bonnes pratiques qui contrebalancent. 

Les appréhensions du début s’estompent, les discussions fusent : OUI, en effet, une fois que l’on a chaussé les lunettes du genre, on y voit un peu plus clair ! Difficile de faire machine arrière, il y en a des choses à dire, il y en a des choses à faire…

L’équipe est dans les starting-block, parée à dégainer une pédagogie en dehors des stéréotypes de genre à leur échelle, avec leur savoir-faire et leurs compétences en petite enfance. 

Comme mot de la fin, elles s’accorderont à dire que : OUI, l’égalité ça s’apprend ! Et que même s’il reste du chemin à parcourir, elles repartent enthousiastes car elles se sentent désormais plus légitimes et outillée pour agir et actionner des leviers dans leurs structures. Objectif atteint. Avant que l’on clôture, l’une d’elle tente même : ne devrions-nous pas inscrire l’égalité dans notre projet pédagogique pour l’ancrer durablement et permettre d’en discuter avec les familles ? Bingo ! Je me réjouis, la formation semble avoir porté ses fruits et peut être même laisser une trace pérenne… affaire à suivre !

 Je remballe mes feutres, mes post-it et mes albums jeunesse. Je n’oublie pas de remettre mes chaussures en partant, et espère secrètement qu’elles, elles oublient de retirer leurs lunettes…