Béatrice Maret est conseillère conjugale et familiale et a complété ses compétences par l’obtention d’un diplôme en médiation familiale. 

Après avoir travaillé plusieurs années en centre d’IVG, puis dans une association de garde d’enfants, et enfin à Couple et Famille, une association de conseil conjugal, elle a intégré le CIDFF (centre national d’information sur le droit des femmes et des familles). Suite à une formation dispensée par le CNIDFF, elle intervient depuis une dizaine d’années autour de Lyon pour l’égalité femmes-hommes dans le couple et pour la prévention des violences conjugales, en se servant principalement de deux outils : VIRAJ (violences dans les relations amoureuses des jeunes) et l’arbre du genre. Elle répond à des demandes croissantes (« Parce qu’on parle de plus en plus d’égalité, parce que nous avons un ministère des droits des femmes ; et en plus notre réseau national, le CNDIFF, possède un agrément avec l’Education Nationale »). Béatrice a bien voulu nous parler de ses interventions avec VIRAJ.

Propos recueillis par Manon Comacle au printemps 2013.

D’où vient VIRAJ ?

C’est un outil québécois qui a été adapté par la DRDFE (Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité) d’Île-de-France.

Comment se présente l’outil ?

VIRAJ est constitué d’une partie théâtre-forum et d’une partie échange avec des petites images. La partie théâtre-forum se compose de scénarios décrivant des scènes de vie de couples. Les 4 scénarios traitent du contrôle de l’apparence physique (un scénario) et des relations sociales (3 scénarios : contrôle par la jalousie, contrôle par la possessivité et contrôle par le chantage affectif). C’est un outil relativement simple, qui part du fait que lorsqu’on est amoureux·se, on peut vivre des émotions, ne pas être d’accord… Il arrive que des choses se passent mal, qu’on ne soit pas d’accord avec la tenue que porte sa compagne, avec une sortie, ou on s’est senti·e mal  parce qu’on avait l’impression que l’autre pouvait se faire draguer par quelqu’un d’autre… Il s’agit de travailler sur des phénomènes de rabaissement, de dépréciation de l’autre. La question de fond est : l’amour donne-t-il des droits ? Quand on aime quelqu’un.e, a-t-on le droit de le/la rabaisser ? Quand on est jaloux·se, a-t-on le droit d’empêcher la personne de sortir, ou de voir quelqu’un.e, de porter quelque chose… ? Est-ce qu’on a le droit, quand on est mal avec quelque chose, de dire à l’autre « t’as pas le droit de faire ça » ? Quand on aime est-ce que ça prive l’autre ? Une personne aurait-elle alors le droit de commander, et l’autre d’obéir ? C’est ainsi qu’on aborde l’égalité. Y a-t-il forcément un décideur, un dominateur ou bien l’égalité est-elle possible dans le couple ?

« Je t’interdis parce que t’es avec moi, tu n’as pas le droit, et si tu m’aimes vraiment tu ne dois pas le faire ». Il s’agit de se questionner sur le droit quand on aime de s’imposer, de contrôler. L’amour peut-il provoquer du contrôle abusif ? On devient tellement contrôlant·e, tellement jaloux·se qu’on peut être violent·e, tellement possessif·ve, qu’on peut être désagréable. Comment fait-on quand on n’est pas content·e, jaloux·se, possessif·ve ? Peut-on l’exprimer autrement que par la volonté de contrôle ? La question suivante est celle de la place du droit dans le couple. Le droit est-il seulement présent dans la vie extérieure ou bien aussi dans la vie privée ? VIRAJ traite donc de la place du droit dans la vie privée, ce qui en fait un outil de prévention des violences conjugales.

Comment se passe une intervention-type ?

Cela dépend des élèves et des classes, mais en général, je ne dépasse pas 1h15-1h30. Le plus souvent, je propose deux saynètes, une dans laquelle l’homme contrôle, domine, et une où c’est la femme. Ce sont des élèves volontaires qui les jouent. Quand c’est une classe de garçons, c’est très compliqué : personne ne veut faire la fille, parce que c’est « nul d’être une fille ». C’est utile que cela soit exprimé, parce qu’on y travaille déjà ! Je leur demande pourquoi et il y a déjà de la matière.

Ensuite j’utilise 5 vignettes – des petites images avec des personnages qui vivent une situation que l’on comprend aussi grâce aux commentaires. Chaque fois il est écrit : Est-ce qu’on a le droit ? Est-ce que c’est acceptable ? Est-ce que c’est inacceptable ?

Sur la boite des vignettes, il est indiqué « si on s’aime égal » : il s’agit vraiment de l’égalité dans le couple. Ces vignettes abordent 5 thèmes : l’insulte, l’influence, le respect des limites, l’atteinte à la réputation et le viol. Pour l’insulte, cela consiste à demander, lorsque deux personnes s’aiment, si l’une d’elles a le droit de rabaisser l’autre. Est-ce qu’on a le droit par exemple de lui dire qu’il/elle ne réfléchit pas, tout le temps, de le/la dévaloriser ? Les élèves peuvent dire : « mais s’il/elle ne réfléchit pas, s’il y a quelque chose qu’il/elle fait mal, on a bien le droit de le dire ! ». Je demande donc ce que cela fait de rabaisser tout le temps, ce qui risque d’arriver. Pourquoi quelquefois une personne aime avoir une position un peu haute, une position de type « moi je sais, toi tu ne sais pas, mes goûts à moi sont supérieurs… » ? Est-on en situation d’égalité quand on fait cela ?

L’influence traite la question d’imposer ses goûts à l’autre, de décider pour l’autre, de dire « toi tes goûts, c’est nul »… Parfois, des élèves me disent « Mais madame, dans un couple, on peut pas être à égalité, il faut qu’il y ait un chef, on ne peut pas être deux chefs dans un couple, il faut qu’il y ait une personne qui décide, parce que sinon ça va pas aller ». On échange : Quand on n’est pas d’accord, comment fait-on ? Y a-t-il une possibilité d’en parler ? Ce matin j’intervenais dans un collège, et un élève me dit « Il y a toujours un lion sur la colline. » Mais quand je fais mes interventions, je parle de la Constitution française, des valeurs républicaines, de l’égalité… C’est donc l’occasion de répondre que le lion représente la loi de la jungle, la loi du plus fort. Ce serait alors celui qui s’impose qui serait le plus fort, celui qui parlera le plus fort qui aura raison ? Peut-on plutôt partir du principe qu’on est à égalité, et que chacun·e a la même valeur, et que chacun·e a droit à la parole, même si l’égalité n’empêche pas la différence ? Très souvent les élèves mélangent et disent que si on s’aime, on doit penser pareil et on doit aimer les mêmes choses. C’est un outil qui permet d’échanger sur le fait qu’on peut faire des efforts pour l’autre, mais qu’on peut ne pas avoir les mêmes goûts que l’autre. Cependant, très souvent on fait l’amalgame en disant « je t’aime tellement que je vais tout faire pour toi, je vais être très gentil·le avec toi ; si tu me demandes ça, je le fais ». Et ensuite, la personne se perd, s’oublie elle-même. La troisième vignette aborde le respect des limites : pour faire plaisir à l’autre par exemple, doit-on tout accepter au niveau sexuel ? Peut-on refuser un rapport sexuel, certaines pratiques sexuelles ? Quand on aime quelqu’un, peut-on insister pour avoir un rapport sexuel, peut-on utiliser l’amour pour avoir un rapport sexuel ? Ce sont plutôt les filles qui insistent ou plutôt les garçons ? Très souvent, on me dit que les garçons débordent de besoins sexuels, qu’ils ne peuvent pas se contrôler…

Pour l’avant-dernière image, qui est l’atteinte à la réputation, on parle de séparation. Dans cette petite image, le couple se sépare et celui-celle qui est « plaqué·e » va faire courir une réputation sur l’autre dans le lycée ou dans le collège. Est-ce acceptable de faire courir des rumeurs sur l’autre, par vengeance ? Qu’est-ce que ça veut dire, quand on aime quelqu’un, de chercher à lui faire du mal ? Pourquoi a-t-on envie de rabaisser l’autre, d’atteindre l’autre ? A-t-on le droit de le faire ? Les élèves ne sont pas dupes, ils savent très bien qu’une rumeur, ça peut faire très mal à quelqu’un. Certain·e·s élèves disent qu’on peut détruire quelqu’un, psychiquement, en faisant tourner une rumeur sur la personne, et qu’effectivement on n’a pas le droit de le faire, mais que parfois, on est tellement pas content·e, on a tellement aimé, on est tellement en colère, et si vexé·e, que, la fierté aidant, on fait courir une petite rumeur, méchante.

Le cinquième vignette évoque le viol : on voit deux petits personnages sous une tente. L’un dit : « écoute, cet après-midi je t’avais dit oui, ce soir tu vas le faire ». Il y a des petits commentaires sur la vignette comme « tu vas pas faire d’histoires » ; la personne dit « aïe aïe aïe ». On parle alors du viol : a-t-on le droit, même quand on s’aime, de forcer ? Et de changer d’avis à la dernière minute ? Même quand on est marié·e, a-t-on le droit de refuser un rapport sexuel ? Très souvent, on me dit « Ha bon, comment ça… Mais je croyais que quand on est marié·e, forcément, on dit oui à tout ! » Donc je rappelle le droit autour de la question du viol. Et je rappelle que pour avoir un rapport sexuel il faut obtenir le consentement de son ou sa partenaire.


Vous proposez cette intervention auprès de quels niveaux scolaires ?

Dès la 6ème avec VIRAJ, mais je retire le respect des limites dans la sexualité et le viol : on ne traite que de l’insulte, de l’influence et de l’atteinte à la réputation. A partir de la seconde, on traite des autres thèmes. A partir de la première, VIRAJ, c’est dépassé. Pour les premières, je ne suis pas intervenue souvent, seulement sur commande, mais avec un autre outil québécois, qui vient de l’Université de Laval : PASSAJ (Programme de prévention et de promotion traitant de la violence dans les relations amoureuses et du harcèlement sexuel auprès des jeunes de 16-17 ans).  Ce n’est pas avec du théâtre, mais avec des situations qu’on lit. Pour les violences sexuelles, par exemple, on lit « Cela s’est passé dans une soirée. Un garçon a fait boire une fille, et l’a emmenée dans une chambre. Etait-elle consentante ou pas ? » Ou « Ils étaient tous les deux chez les parents, et puis ils étaient dans la chambre. Lui a essayé et elle a dit non, mais comme les parents étaient à côté, elle n’a pas osé crier ». Il s’agit donc d’abus sans violence physique, pour obtenir des faveurs sexuelles sans le consentement de la personne.

Et pour conclure ?

Beaucoup d’élèves font des amalgames. Encore ce matin j’ai entendu « si on s’aime, c’est normal qu’il y ait des embrouilles, on pourrait même dire que plus les gens s’embrouillent, plus ils s’aiment ». Alors je questionne… Est-ce qu’on peut avoir des désaccords et en parler ? Qu’est-ce que ça veut dire une embrouille ? Parce qu’on peut se faire du mal dans une embrouille. Ce n’est pas pareil de s’exprimer : « Je suis pas d’accord, je ne pars pas en vacances, je ne vote pas pour tel parti… » et de se jeter des assiettes dans la figure ou de se traiter de tous les noms. Un désaccord peut vite tourner à la violence, alors plutôt que de chercher à contrôler son ou sa partenaire, il est donc nécessaire d’apprendre à se contrôler car rien ne justifie la violence.

Sitographie : Sur les outils VIRAJ et PASSAJ :http://www.viraj.ulaval.ca/fr/description-et-historique-des-programmes

Le catalogue des formations et interventions CIDFF est téléchargeable surwww.infofemmes-rhonealpes.fr (page 19 pour cette intervention)