2014-12-NormeL’injonction d’adhésion à la norme de sexe, et sa conséquence, soit le sentiment de devoir s’y conformer, restent une des causes majeures du non respect de ses aspirations propres au niveau individuel, et de la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes à l’échelle de la société.

Se conformer à la norme de sexe même si cela contredit ses propres aspirations ?… Ou s’écarter de la norme de sexe si cela permet de suivre ses aspirations propres ? Un dilemme auquel nous sommes confronté·e·s tôt… et auquel les parents sont de fait confrontés à nouveau dès le plus jeune âge de leurs enfants. Car comment favoriser l’intégration sociale de son enfant si ce n’est en se – et en le·la – rassurant sur sa « normalité » ? Or, il est une autre voie possible : doter son enfant en ressources (estime de soi, confiance, arguments, savoirs…) pour s’assumer tel·le qu’il·elle est ou veut être, éventuellement à distance de la norme (ici : de sexe), notamment en donnant l’exemple soi-même !

Voici les arguments utiles d’un dialogue qui pourrait avoir lieu entre deux camps échangeant autour de la confrontation entre norme de sexe et aspirations profondes.

L’argumentaire qui suit a été construit par Violaine Dutrop et Elise Chane d’EgaliGone, avec le concours de Cécile Ottogalli et Sylvie Blaineau, dans le cadre de l’accompagnement des étudiant·e·s de l’Université Lyon 1, pour favoriser une plus grande mixité des filières à l’Université. Il est reproduit ici en accord avec Sylvie Blaineau, Directrice du SOIE  (Service d’Orientation et d’Intégration des Etudiant·e·s).


Préambule : La norme de sexe est variable selon les lieux, les peuples et les époques. Ce qui est attendu des hommes et des femmes diffère, ainsi que ce qui est considéré comme féminin ou masculin.

  • Pendant des siècles, en Occident, les jeunes enfants sont habillés de la même manière. Jusqu’aux années 1920, les garçons et les filles sont habillé.e.s avec des robes jusqu’à leur entrée à l’école et portent la chemise de nuit. Par ailleurs, cheveux longs, maquillage et talons sont présents dans l’histoire des masculinités en France (Louis XIV) mais aussi ailleurs dans le monde.
  • Jusqu’à la fin du XIXème siècle en France, la couleur blanche (symbole de la pureté et facilité de lavage) est portée par la majorité des enfants, puis portent des couleurs indépendamment de leur sexe. Lorsqu’une distinction apparaît, les filles se voient attribuer un ruban bleu (référence à la Vierge Marie), les garçons un ruban rose (symbole de leur supposé tempérament sanguin). Ainsi, notre culture n’a pas toujours associé le rose aux filles ni le bleu aux garçons. Aujourd’hui, la raison majeure du maintien de la déclinaison des jouets et objets en bleu et rose est commerciale[1].
  • Les femmes n’ont pas toujours allaité leurs enfants, en particulier celles, nombreuses, qui faisaient appel à une nourrice.
  • Les travaux agricoles, parfois très physiques, sont réalisés par les femmes dans de nombreux pays.
  • D’autres cultures, en Asie par exemple, considèrent l’activité et la colère comme des caractéristiques féminines, la passivité et le calme comme masculines (le contrôle de soi étant valorisé).
  • Chez les Arapesh, tout semble organisé dans la petite enfance pour faire en sorte que le futur Arapesh, homme ou femme, soit un être doux, sensible, serviable. Alors que dans la tribu des Mundugomor, la conséquence du système d’éducation est plutôt d’entraîner la rivalité, voire l’agressivité, que ce soit chez les hommes, chez les femmes ou entre les sexes. […] A l’inverse, les Chambuli, […], pensent comme nous qu’hommes et femmes sont profondément différents dans leur psychologie. Mais, contrairement à nous, ils sont persuadés que la femme est, par « nature », entreprenante, dynamique, solidaire avec les membres de son sexe, extravertie ; et que l’homme est, en revanche, sensible, moins sûr de lui, très soucieux de son apparence, facilement jaloux de ses semblables. « les traits de caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont pour bon nombre d’entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe d’une façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières et la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou l’autre sexe » [Mead, Margaret, (1935) 1963, p. 252].[2]

Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

 Question de biologie (« c’est biologique »): (argument fondé sur des stéréotypes de sexe , idée que le groupe des femmes et celui des hommes présentent des différences d’aptitudes immuables dès la naissance)

«  Les femmes sont naturellement plus (douces, réservées, douées en français, soignées, dévouées, sensibles, gentilles, habiles avec les enfants, minutieuses…), les hommes sont naturellement plus (forts, courageux, entreprenants, doués en maths, colériques…)»

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

Cerveau : 90% des connexions entre les neurones sont établies après la naissance. Ces connexions déterminent les aptitudes intellectuelles des individus, qui dépendent ainsi du vécu des enfants et non de leur sexe biologique. « Ce n’est pas l’incapacité qui empêche l’expérience, c’est d’empêcher l’expérience qui rend incapable. »[3].

. Sans entraînement, des capacités physiques identiques : Si on demande à une fille et un garçon du même âge et prépubaires de lancer une balle avec leur bras non habituel, ce pour quoi ni l’un ni l’autre n’ont d’entraînement, ils la lancent à la même distance[4].

Aptitudes en maths : En Albanie et en Lituanie, les filles ont des meilleurs résultats que les garçons en mathématiques. Les différences de résultats ne sont pas naturelles mais bien construites[5].

Ce qui est considéré comme féminin ou masculin, diffère selon les lieux, peuples et époques (voir préambule). Donc difficile de voir des facteurs biologiques valables.


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

Question d’attentes sociales (« c’est – ou pas – leur rôle ») : (argument fondé sur les rôles de sexe sur lesquels reposerait l’équilibre de la société, qui se déliterait s’ils n’étaient pas respectés) :

«  les hommes doivent être/faire…, les femmes doivent être/faire… » 

« les femmes doivent faire des enfants, les hommes avoir un travail bien payé pour subvenir à leurs besoins »

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

Les attentes envers les hommes et les femmes diffèrent selon les lieux, peuples et époques (voir préambule). Certaines cultures encouragent la mixité dans les activités humaines.

. La tradition de rôles sexués crée des comportements discriminatoires non conscients, des inégalités de développement et des souffrances :

  • Lors des 3 1ères années des nourrissons, les parents parlent plus avec leurs filles, font faire plus d’exercices physiques à leurs fils[6].
  • La perception de l’enseignant·e influence les résultats des élèves : Si un·e enseignant·e croit dans les aptitudes d’un·e élève, il·elle développe plus d’attentes, plus d’encouragement et provoque de meilleurs résultats chez l’élève[7]Ce phénomène s’appelle l’effet pygmalion.
  • Des filles sont moins stimulées en mathématiques : en primaire, elles sont moins encouragées, moins interrogées et bénéficient de moins de remarques d’ordre cognitif que les garçons[8].
  • Les enfants apprennent à juger importantes des disciplines dites de leur sexe : dès le CM2, les garçons donnent plus de valeur à la géométrie, la science, le sport ; les filles à la lecture et l’art plastique[9].
  • Le choix des activités extrascolaires suit une division traditionnelle des rôles sociaux sexués : sport collectifs, extérieurs et de combat pour les garçons, sports intérieurs (danse et gymnastique) pour les filles.[10]
  • Les filles, faisant moins de sport, pourraient donc moins développer la confiance en soi qui peut en découler[11].
  • La situation est aussi délicate pour les garçons qui ne réussissent pas en sport : l’attente de performance peut les stresser et rendre leurs contre-performances difficiles à vivre.

La mixité, une fois en place, présente un champ des possibles élargi pour les personnes, donc accroît le sentiment et la réalité de liberté individuelle.

L’égalité est un principe constitutionnel qui implique d’avoir sa place possible dans toutes les activités humaines et qu’elles ne soient pas hiérarchisées/valorisées selon le sexe, donc la mixité est un préalable.


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

Question d’expérience (argument fondé sur des stéréotypes de sexe partant de l’expérience moyenne acquise par les personnes de sexe F ou M)

« De par leur éducation, les filles sont moins : sportives / attirées par les maths / compétitrices… et les garçons sont moins : coopératifs / à l’écoute des autres / dotés en compétences relationnelles / bons en orthographe… »

 Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

L’avenir d’une seule personne ne peut pas être discuté au regard d’une statistique ou d’une généralité : parmi les hommes comme parmi les femmes, il existe une infinie variation de possibilités, avec des personnes de même sexe parfois très éloignées entre elles, et des personnes de sexe différent très proches. Chaque personne peut développer ses singularités et ses propres compétences. Aucune mathématicienne ou femme astronaute juge ou médecin ne se serait lancée si elle s’était identifiée à une généralité.

. C’est dévastateur de véhiculer des stéréotypes / idées reçues sur des groupes de personnes, parce que lorsqu’une personne connaît un stéréotype véhiculé sur son groupe, sa performance dans l’exercice d’une tâche sera moindre car elle perdra de l’énergie à combattre le stéréotype. Ce phénomène s’appelle la menace du stéréotype.


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

Le langage parle de lui-même :

« Il y a des métiers d’hommes et des métiers de femmes : la preuve, c’est qu’on dit une sage-femme, une infirmière, mais un maçon, un mécanicien, un plombier ou un chirurgien »

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

Le langage est riche, c’est une question d’usage. Les métiers et fonctions sont déclinables au masculin comme au féminin. Un guide a été édité en 1999 (Femme, j’écris ton nom) et des circulaires gouvernementales existent depuis 1986 sur le sujet. Il y a en fait résistance et méconnaissance de ce guide.

. Or, nommer c’est exister : Comment s’orienter vers un métier si le mot pour le dire n’est pas utilisé ? Puéricultrice ? Maçon ? L’usage exclusif du masculin ou du féminin pour certains métiers participe ainsi à limiter les perspectives d’orientation des jeunes.

. La féminisation des noms de métiers favorise la confiance des élèves en leur réussite : Une étude sur 250 collégiens de 13-14 ans a montré que filles ET garçons ont davantage confiance en leur réussite quand la profession est au masculin et au féminin. Les élèves voient que hommes comme femmes peuvent occuper une diversité de métiers, donc se projettent plus dans des modèles variés quel que soit leur sexe[12].


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

Affronter les préjugés / s’écarter de la norme nécessite une force de caractère hors du commun

« Du fait qu’il s’agit d’un·e homme/femme, qui forcément a été en partie socialisé·e/éduqué·e comme un·e homme/femme, ses compétences, même réelles, seront mises en doute par son entourage. Il faudra toujours qu’il/elle fasse ses preuves.»

ou

Envie de simplicité :

« Rester dans la norme, c’est s’intégrer, se faire accepter, avoir une vie tranquille, ne pas se battre tout le temps »

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

C’est une question de caractère : Une personne qui a de la personnalité, une estime de soi suffisante, mais aussi un entourage qui la soutient, pourra mettre à distance la norme et faire ses propres choix. Elle peut être libre.

Il est nécessaire d’avoir des modèles : « Pour pouvoir se projeter dans un rôle professionnel, il est nécessaire d’avoir eu à sa disposition à un moment ou à un autre de son existence des modèles réels ou fictifs de personnes de son propre sexe exerçant une profession. »[13]

C’est aussi une question de société : si seulement les personnes qui ont du caractère peuvent s’éloigner de la norme, alors toutes celles qui n’ont pas assez de ressources personnelles, qui ne souhaitent pas lutter / assumer leurs choix au quotidien vont opter pour des voies qui ne leur correspondent pas… C’est triste et cela renforce la norme de sexe, les stéréotypes, l’intolérance et les inégalités…


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

La peur d’être rejeté·e ou maltraité·e

« Qu’est ce qu’on va dire de moi / mon fils / ma fille… »

«  on va prendre mon fils pour un homosexuel s’il fait… »

«  aucun homme n’acceptera ma fille si elle exerce telle activité… / elle risque de se faire harceler»

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

Invoquer la peur du rejet, c’est renforcer l’intolérance et les difficultés pour les ados d’assumer leur identité propre, leurs choix. Il est possible de les armer, de les soutenir dans les voies qu’ils ou elles choisissent.

Ce qui se joue dans la peur de l’homosexualité ou dans la nécessité pour les filles de « rester à leur place », c’est la hiérarchie entre féminin et le masculin en défaveur du féminin. C’est un gâchis de talents. On peut agir grâce à des activités plus mixtes, donc accessibles à tous et à toutes.

Jouer à la poupée ne rend pas homosexuel mais développe des compétences relationnelles et prépare à s’occuper d’enfants (très utile aux futurs pères !)

Harcèlement : faut-il conforter cette généralisation sur les hommes en excluant les femmes des lieux occupés quasi-exclusivement par des hommes ? 


Argument invoqué pour suivre la norme quelles que soient ses aspirations profondes :

Influences extérieures trop fortes :

« C’est inévitable de faire ce qui est attendu de nous. Les publicités, les livres jeunesse, les catalogues de jouets, la famille, la mode, le sport, les médias… tout exprime que ce qui attendu des femmes et des hommes dans la société est très différent. Impossible de lutter. »

Les réponses pour suivre ses aspirations propres même si elles s’écartent de la norme :

. Refuser de lutter contre ces influences, c’est se refuser la liberté à laquelle nous aspirons.

. Ou c’est se croire libre alors qu’on est largement influencé·e…

 


 

[1] Source à consulter pour aller plus loin : Fisher. (2006). Robe et culottes courtes : l’habit fait- il le sexe? Dans Dafflon-Novelle, Filles-Garçons. Socialisation différenciée (pp. 241-256). Grenoble: Presses universitaires de Grenoble.

[2] Denis Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Repères n°205, La Découverte, 2004, p. 36-37.

[3] (Vidal, Benoît-Browaeys, 2005. Catherine Vidal est neurobiologiste)

[4] (montré par Hudson, 1994)

[5] (OCDE PISA 2009, performance d’élèves de 15 ans)

[6] (montré par Moss, 1974)

[7] (Rosenthal, Jacobson, 1968)

[8] (Jarlégan, 1999)

[9] (Dutrevis, Toczek, 2007)

[10] Source des chiffres : enquête MJS, 2001, Ministère des Sports, pour les 12-17 ans

[11] (Goni, Zulaika, 2001)

[12] (Chatard, Guimont, Martinot, 2005).

[13] (psychologue Dafflon-Novelle, 2004, p. 5)