Deux ou trois éléments de réflexion pour parler des écarts de rémunération entre les sexes
Par Violaine Dutrop
Fin 2014, des étudiant·e·s et enseignant·e·s participaient à une expérimentation (que nous menions avec le Service Orientation et Intégration des Etudiant·e·s de l’Université Lyon 1) pour diminuer le poids des stéréotypes sexués et élargir ainsi les choix d’orientation des filles comme des garçons. Nombre d’étudiant·e·s de première année ont exprimé lors de débats leur conviction que les écarts de rémunération entre les sexes (25% environ), dont les médias se font le relais régulièrement, d’une part étaient constatés “à poste égal”, et d’autre part qu’ils relevaient d’une discrimination volontaire (donc consciente, voire préméditée) des employeurs. L’assemblée semblait s’entendre sur le fait que les filles devaient, malgré l’injustice évidente, “se préparer à l’idée de gagner beaucoup moins que les hommes avec des responsabilités équivalentes”. Ni les étudiant·e·s ni les enseignant·e·s présent·e·s n’avaient été préparé·e·s à argumenter face à ces assertions pourtant erronées et étonnamment déterministes, alors que la loi sur “à travail égal, salaire égal” est dans les textes depuis 1978 (cf. historique fait par la CFDT) et que l’écart de 25% n’est bien sûr pas calculé à postes équivalents, même si la situation en chiffres reste problématique. De notre côté, nous non plus n’étions pas préparé·e·s à une telle idée reçue. La méconnaissance des mécanismes, pour la plupart non conscients et insidieux, de reproduction des inégalités est bien sûr criante.
Il y a quelques jours, cette nécessité de rappeler de quoi ces 25% se composent est revenue assez abruptement à ma mémoire. Une émission sur une grande chaîne radio réunissait des syndicalistes et d’autres représentant·e·s du monde du travail, dont j’avoue avoir oublié les fonctions. L’un des thèmes abordés était les inégalités professionnelles. L’un des syndicalistes s’est indigné avec verve sur cet “écart de salaire scandaleux de 25% à travail égal” (reformulé par mes soins, ma certitude étant qu’il a bien fait part de son indignation et qu’il s’agissait d’une comparaison “à travail égal”). Je n’ai pas écouté toute l’émission, mais aucune personne présente n’a repris ou corrigé ces propos dans les minutes qui ont suivi, ce qui témoigne d’une méconnaissance profonde et inquiétante du sujet de la part de personnes supposées le défendre ou d’autres payées pour nous informer…
Tout ceci est bien dommage, car cela peut véritablement desservir la cause défendue d’en parler sans être suffisamment averti·e ou sans s’être interrogé·e.
Il ne s’agit pas bien sûr de généraliser, ni aux étudiant·e·s, ni à leurs enseignant·e·s, ni aux syndicalistes, ni aux journalistes le constat que je partage ici. En revanche, apporter quelques éléments pour comprendre de quoi ces écarts sont faits et quel sens ont les chiffres et les mots utilisés peut permettre de poser un regard critique sur les propos que nous entendons.
Voici donc quelques idées reçues que j’ai déjà entendues sur le sujet (parfois parmi nos publics lors d’interventions), puis des données et réflexions :
- Idée reçue : “C’est pareil de parler d’écart entre les femmes et les hommes ou d’écart entre les hommes et les femmes“
- Pas du tout, si l’on se réfère au calcul mathématique à effectuer pour calculer cet écart. En 2012, l’écart de rémunération était de 24% entre les femmes et les hommes (donnée INSEE), mais de 31% entre les hommes et les femmes, car l’écart est calculé par rapport aux hommes dans un cas, aux femmes dans l’autre ! En d’autres termes :
- la rémunération moyenne des femmes était 24% inférieure à celle des hommes en 2012
- la rémunération moyenne des hommes était 31% supérieure à celle des femmes en 2012.
- Pas du tout, si l’on se réfère au calcul mathématique à effectuer pour calculer cet écart. En 2012, l’écart de rémunération était de 24% entre les femmes et les hommes (donnée INSEE), mais de 31% entre les hommes et les femmes, car l’écart est calculé par rapport aux hommes dans un cas, aux femmes dans l’autre ! En d’autres termes :
- Idée reçue : “Parler de salaire ou de rémunération, c’est pareil”
- Non plus. Le salaire concerne les salarié·e·s (quid des autres formes de travail rémunéré, comme les professions libérales ?) et n’inclut pas différents compléments (primes et gratifications par exemple) qui sont en revanche inclus dans la rémunération, donc il est important de se demander de quoi on parle dans les statistisques / dans les médias / dans les rapports. Ce qui est certain, c’est que :
- les obligations de l’employeur (1) concernent l’égalité de rémunération (tout compris, donc), “à travail de valeur égale”.
- mais les données de l’INSEE parlent de “revenu salarial“, et semblent inclure la rémunération variable.
- Non plus. Le salaire concerne les salarié·e·s (quid des autres formes de travail rémunéré, comme les professions libérales ?) et n’inclut pas différents compléments (primes et gratifications par exemple) qui sont en revanche inclus dans la rémunération, donc il est important de se demander de quoi on parle dans les statistisques / dans les médias / dans les rapports. Ce qui est certain, c’est que :
- Idée reçue : “Les femmes gagnent 24% de moins que les hommes à poste/travail égal“
- Non : il s’agit d’un comparatif entre la moyenne du “revenu salarial” (donc hors revenus non salariaux) des femmes avec la moyenne de celui des hommes, tous postes, tous temps de travail, toutes qualifications, toute ancienneté, etc… confondus. Ce serait affligeant qu’une révolution n’éclate pas avec un écart de 24% à travail égal ! Même si à travail égal, il reste encore des écarts inexpliqués et injustes.
- Pour connaître la décomposition des 24%, la lecture de ces deux articles est instructive :
- Les inégalités de salaires hommes-femmes : état des lieux, le 29 janvier 2013, par l’Observatoire des inégalités
- Pourquoi les femmes gagnent moins que les hommes ? publié le 17 septembre 2014, FranceTVinfo explique les raisons d’écarts de revenus encore très importants.
- Idée reçue : “Il faut tout calculer en équivalent temps plein, avant de comparer les chiffres”
- Ceci est discutable : n’effacer que le temps partiel en calculant un équivalent temps plein revient à ignorer qu’une grande partie des emplois à temps partiel sont subis, certes par des hommes et des femmes, mais ces dernières sont largement majoritaires dans cette situation. “Certes le temps partiel est plus souvent subi chez les hommes (34 %) que chez les femmes (26%). Mais compte tenu de leur poids dans l’ensemble des actifs en temps partiel, les femmes représentent les trois quarts des salariés en temps partiel subi. Elles sont près d’un million à être dans ce cas, contre 300 000 hommes“, selon un article du centre d’observation de la société de février 2015, intitulé “Le temps partiel n’augmente plus.”
- L’écart de 24% est réduit à 19,2% (données INSEE 2012) lorsqu’on raisonne / calcule en Equivalent Temps Plein (puisque beaucoup plus de femmes sont à temps partiel) : cela masque une partie des raisons des écarts de revenus (donc de déséquilibre en terme d’indépendance économique) entre les femmes et les hommes, le temps partiel étant davantage “réservé” aux femmes pour des raisons diverses, profondes et discutables.
- Si on veut corriger les chiffres en “gommant” tous les facteurs explicatifs connus ou révéler un écart “à profil identique” ou “toutes choses égales par ailleurs”, alors, cela a du sens il me semble. Cet écart restant est entre 9% et 11% selon les sources.
- Idée reçue : “Dans le public, il n’y a pas d’écart de salaires entre les femmes et les hommes”
- Si ! Mais l’écart est moindre. L’INSEE nous indique : “En 2010, dans le secteur privé, les femmes ont un revenu salarial inférieur de 28 % à celui des hommes. (…) En 2010, dans le secteur public, l’écart de revenu salarial entre hommes et femmes est de 18 %, soit 10 points de moins que dans le secteur privé. Cet écart est cependant resté stable ces dix dernières années.” Source INSEE (2)
- Idée reçue : “Il est juste que les femmes gagnent moins puisqu’elles travaillent moins”
- Peut-être, avant d’émettre un propos si simplificateur, serait-il utile de s’interroger sur les raisons de leur moindre investissement au travail rémunéré (causes du retrait professionnel sous toutes ses formes ? pour effectuer quel travail non rémunéré ?), et sur pourquoi quand elles en ont un, elles sont en plus grand nombre en bas de l’échelle, dans des emplois moins valorisés socialement, et dans des métiers prolongeant la sphère domestique et familiale. Rappelons, pour mémoire, que la préparation psychologique à cette inégalité sociale commence tôt : lorsque nous demandons à des jeunes comment ils et elles se projettent professionnellement, non seulement les possibilités d’orientation ne se présentent pas sous le même jour pour eux et pour elles, mais les filles montrent une intégration très précoce d’une future vie de famille tandis que peu de garçons y pensent…
(2) http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1436
Liens pour aller plus loin :
- Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes, par Thomas Morin et Nathan Remila, Insee
- Les écarts de salaires entre hommes et femmes : des differences notables, même à profil identique, par Olivier Diel
- Ecarts de revenus au sein des couples : Trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint, par
Thomas Morin, division Études sociales, Insee - Ecarts de salaires par genre, données par branches professionnelles, 6 mars 2014, diaporama DARES
- Salarié·e·s : Répartition des sexes dans la fonction publique ; et dans le privé en 2014