Agir après une formation : un exemple partagé par Mehdy
Sasha a rencontré Mehdy, APS au collège Paul Emile Victor à Rillieux-la-Pape. Il a assisté à une formation d’EgaliGone (co-animée par Violaine Dutrop-Voutsinos et Muriel Salle) qui avait lieu au lycée Maria Casares en décembre 2013, et a décidé de questionner et modifier ses pratiques éducatives suite à cette intervention. Retour sur un bel exemple d’action égalitaire, concertée avec l’équipe éducative.
Qu’est-ce qu’un·e APS ?
Un·e APS est un·e Adjoint·e de Prévention et de Sécurité. Je travaille pour l’éducation nationale, j’accompagne certains élèves de manière individuelle ou en petit groupe de quatre ou cinq personnes. J’interviens entre autres lors de situations de harcèlement, ou j’accompagne pour du soutien scolaire, je propose des actions de médiation, j’aide à orienter les élèves vers d’autres professionnel·le·s lorsqu’ils ou elles ont besoin d’un suivi plus poussé. Mon quotidien est très divers, mes tâches sont très variées, mais globalement, j’essaye de créer du lien entre les gamins et les équipes éducatives.
Peux-tu me parler plus précisément de l’atelier dont tu te charges ?
On a ouvert un foyer avec des jeux de société pour les élèves qui mangent à la cantine entre midi et deux. Le foyer c’est une salle avec une grande baie vitrée qui donne sur la cour de récréation. J’avais affiché quelques règles sur la porte : seul·e·s les seize premiers arrivé·e·s pouvaient entrer, et profiter des jeux ; et pour que ce ne soient pas toujours les mêmes personnes, si un·e élève était présent·e un jour, il·elle n’était pas prioritaire le lendemain. Nous avions réfléchi à cet espace pour permettre à l’équipe éducative, notamment l’assistante sociale, de voir et parler aux élèves en dehors du cadre strict de leur boulot.
Tu as assisté à la formation d’EgaliGone au collège Maria Casares, qu’est-ce qui a retenu ton attention dans cette formation ?
C’est que la formatrice expliquait que beaucoup de nos comportements sont inconscients, que l’on ne se rend pas forcément compte de nos actions, mais qu’inconsciemment on va traiter les filles et les garçons de manière différente. Et qu’on ne réalise pas nécessairement que les garçons pouvaient être dominants dans certaines activités. J’ai toujours été en faveur de l’égalité entre homme et femme, je me considère féministe. Et je n’avais pas l’impression qu’il y avait une prédominance des garçons dans les activités que j’organisais, mais… ça m’a questionné, et j’ai décidé d’en avoir le cœur net. Parce qu’elle disait « on s’en rend pas compte », du coup, par acquis de conscience, j’ai essayé d’autoanalyser ma pratique.
Comment as-tu procédé alors ?
Je me suis laissé plusieurs jours pour noter combien de garçons et combien de filles venaient au foyer. En trois quatre jours à peine, le constat était flagrant, il y avait une grande majorité de garçons. J’ai même repensé aux mois précédents, et je n’avais pas le souvenir d’avoir parlé à beaucoup de filles, même s’il y en avait quelques unes. Pourtant, les jeux de société qu’on propose au foyer sont asexués : il y a des jeux de dames, des jeux d’échec, des UNO, des puissances 4. Ce ne sont pas des jeux « masculins ». J’ai essayé de comprendre sur quoi se basait ce déséquilibre. Et j’ai décidé d’observer ce qu’il se passait à la cantine. Et effectivement, cela a été très intéressant de constater que les garçons arrivaient en premier. J’ai observé certains comportements plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Ils sortaient en courant de cours, en se bousculant, et arrivaient à la cantine en premier, et de fait, étaient les premiers à en sortir, d’où les premiers à arriver au foyer. Les garçons sortent plus vite de cours, ils courent, ils s’en fichent de bousculer ; les filles avaient tendance à se mettre à l’écart de toute cette agitation. Mais quand les filles commençaient à sortir de la cantine, il n’y avait déjà plus de place pour elles, le foyer était déjà plein.
Qu’as-tu décidé ensuite ?
J’en ai discuté avec d’autres collègues, notamment Mme Sassi, l’assistante sociale. J’ai proposé de mettre en place une nouvelle règle au foyer : désormais il y aurait huit places réservées aux garçons et huit places réservées aux filles. J’en ai parlé à ma direction aussi, à la CPE, Mme Chaperot, à la principale adjointe, Mme Rosique, à la principale, Mme Garnier. Tout le monde a dit que c’était une bonne idée et m’a soutenu. Une semaine après la formation d’EgaliGone je mettais la nouvelle règle en place.
J’ai imprimé un papier que j’ai affiché sur la porte du foyer, expliquant la nouvelle règle. Les garçons n’ont pas vraiment été contents, parce que ça leur nuisait, mais personne ne s’est vraiment opposé. Ils râlaient comme ils pourraient râler si je les réprimande dans la cour, mais pas d’opposition très forte.
Personne n’a contesté ?
Il y en a toujours qui essayent de trouver des subterfuges. J’ai un garçon qui m’a dit « laisse-moi rentrer, et si une fille veut venir je lui laisserais ma place », j’ai dit «non parce qu’elle verra qu’il n’y a pas de place à l’intérieur, et elle ne viendra pas ». Un autre gars est arrivé avec une fille en disant « elle me laisse sa place », j’ai de nouveau répondu « non, même si elle est d’accord, la règle c’est huit filles et huit garçons à l’intérieur du foyer ».
Pendant plusieurs semaines, j’avais huit garçons, et une ou deux filles, et le reste des places non occupé, il y a avait des places vacantes. Je ne me suis pas inquiété, il fallait le temps que les filles soient au courant des nouvelles règles, qu’elles sachent que ça avait changé. Il fallait aussi le temps de réadapter certaines pratiques, parce qu’elles s’étaient habituées à faire d’autres activités lors de la pause de midi. Donc il a fallu un peu de temps, mais ça a très bien fonctionné. Au bout d’un mois et demi, j’avais mes huit garçons et huit filles. J’allais en parler avec eux et ça m’a conforté dans l’idée que ce n’était pas la faute de l’activité qui serait « masculine ». Les filles étaient contentes, c’était un nouveau truc pour elles et elles en ont bien profité.