Cinéma : Vendeur de Sylvain Desclous
Raphaël Jullien, notre accro du ciné, récidive et vous propose aujourd’hui une critique de Vendeur, le dernier film de Sylvain Desclous.
Serge est vendeur pour une chaîne de magasins spécialisés dans les cuisines équipées. Et il est le meilleur, une véritable star dans son milieu. Son fils Gérald, en revanche, est plus doué pour concocter de bons plats mais il n’a pas le même sens des affaires : son restaurant est en train de couler. Gérald vient alors solliciter son père pour qu’il l’aide à se faire embaucher provisoirement comme vendeur. Serge est réticent, car il est persuadé que son fils n’est pas du tout fait pour ça…
Vendeur = séducteur + acteur + arnaqueur + pute ?
Sylvain Desclous […] dépeint plutôt brillamment ce monde assez impitoyable de la vente, avec authenticité sans pour autant verser dans le réalisme social de type Dardenne, s’autorisant notamment des touches d’humour qui permettent d’éviter un film trop plombant. […] Malgré le côté parfois un peu pédagogique, “Vendeur” (dont le titre n’est, il faut l’avouer, pas très vendeur lui-même !) décrypte avec brio les tactiques de manipulation et propose une vision sans complaisance du métier décrit, n’oubliant ni la solitude des personnages, ni leurs excès en tous genres (alcool, drogue, prostitution, mensonges…). Là où le film excelle, c’est dans les parallèles qu’il suggère au sujet des vendeurs, même si cela manque parfois d’implicite. Outre le côté arnaqueur du métier […], Desclous compare à la fois le métier de vendeur à celui d’acteur […], à la séduction en général (« Il faut qu’elles m’aiment », clame Serge lorsqu’il évoque sa mission : convaincre les clientes) ou même à la prostitution (« Pute ou vendeur, c’est pareil, non ? », provoque Chloé – l’excellente Sara Giraudeau).
[…] La deuxième partie du film paraît […] un peu plus hasardeuse, avec des ficelles parfois un peu trop faciles […]. Si le changement de comportement des personnages […] permet de développer la relation père-fils sous un autre angle (en renversant aussi le rapport par l’introduction subtile du personnage du grand-père), le film devient un peu plus maladroit et la fin trop expéditive. Dommage.
Le film pose cependant aussi question sur la place des femmes. Certes, il brosse le tableau d’un milieu très masculin et très macho (Desclous le souligne lui-même en interview), mais cet aspect est trop timidement critiqué ou remis en cause, voire pas du tout. Le cliché qui veut que c’est la femme qui choisit d’acheter (et qu’il faut donc cibler en priorité) est rabâché et peu contredit, le film proposant même une image de cliente nymphomane dans une des scènes les plus grossières. La seule vendeuse du film (incarnée par la forcément charmante Andréa Brusque) est sans doute aussi séductrice que les personnages masculins du même métier, mais ce n’est pas l’utilité professionnelle de cet atout qui est utilisée (je vous laisse deviner). Et la prostitution est montrée comme une activité plutôt romantique, Desclous nous gratifiant même d’un coup de foudre entre la pute et son client ; seule une double lecture (possible) des scènes concernées permet d’éviter de justesse la vulgarité que peuvent prendre certaines répliques (« On se marie et j’te suce tous les jours »… la classe !). Notons malgré tout que le film évite l’esthétique obscène et aguicheuse qu’on pourrait redouter dans certaines scènes (en termes de nudité, cela se limite à un plan du postérieur de Sara Giraudeau dans une ambiance tamisée) et que le personnage de la femme de Gérald (Clémentine Poidatz) est peut-être le seul poil à gratter – quoique trop secondairement exploité – dans cet univers misogyne. On attendra mieux de Desclous, dont le projet suivant devrait tourner, selon ses propres annonces, autour d’une jeune femme dans l’univers de la politique.
Critique complète sur le site Abus de ciné : http://www.abusdecine.com/critique/vendeur
Film de Sylvain Desclous, sorti le 4 mai 2016, avec Gilbert Melki, Pio Marmaï, Sara Giraudeau, Pascal Elso, Clémentine Poidatz, Serge Livrozet, Christian Hecq…