Nous avons demandé à Emmanuelle Drevon, enseignante au lycée La Martinière Duchère, de partager ses impressions et son travail cette année avec ses élèves de seconde autour de notre exposition « Effets de la socialisation des filles et des garçons : l’exemple de la mise en danger de soi ».

L'exposition a été présentée au CDI du lycée La Martinière Duchère
L’exposition a été présentée au CDI du lycée La Martinière Duchère

Tu es enseignante de Sciences Economiques et Sociales, comment cette exposition fait-elle écho à ton enseignement ?

En SES, nous abordons en seconde la thématique “individus et cultures” en montrant comment la famille et l’école jouent chacune un rôle spécifique dans le processus de socialisation des jeunes. Nous prenons en compte et insistons sur le caractère différencié du processus de socialisation en fonction du genre et du milieu social. Cette exposition permet de rester dans le cadre du programme et d’apporter un éclairage sur la prise de risque à l’âge adolescent qui est un thème rarement traité ainsi. Cette exposition permet en effet un regard “en biais”, intelligent, sur les pratiques risquées, qui fait réfléchir les jeunes sur leurs propres pratiques et sur le fait qu’elles ne sont pas autant qu’ils le croient un choix libre et non contraint. Ils découvrent qu’elles sont le résultat d’attentes sociales, ce qui les questionne beaucoup sur leur libre arbitre. Cette exposition est très bien faite et très fine, elle ne brutalise pas les jeunes, elle questionne et démontre scientifiquement les choses, ce que nous essayons de faire au quotidien avec nos élèves.

A qui l’as-tu présentée dans ton lycée, combien d’élèves et d’adultes l’ont vue dans le cadre d’une visite ?

J’ai présenté cette exposition aux quatre classes de SES que j’avais en seconde et mes collègues de SES l’ont présentée à leurs élèves de seconde également. Visible au CDI de nombreux collègues ont pu la découvrir. Mais si je la reprends, je la ferai venir quinze jours car je ne l’avais réservée qu’une semaine et c’était un peu court pour lancer un débat plus large avec les professeur·e·s (de ST2S par exemple ou avec les documentalistes qui cependant l’ont trouvée très bien).

Comment l’as-tu accompagnée ?

J’ai préparé la visite en plusieurs temps. Sur le chapitre “diplôme et emploi” que nous devons aussi traiter, j’avais déjà fait venir l’exposition de Lyon 1 “Mix’iti” et nous avions déjà réfléchi ensemble aux choix d’orientation genrés. Puis lorsque nous avons abordé le chapitre “individus et culture”, je suis partie du film “le football, un vrai sport de gonzesse” (documentaire Canal+, d’avril 2013). Nous avons pensé ainsi l’histoire du football féminin et j’ai essayé de mettre en parallèle l’histoire de la relation des filles et des femmes au football avec l’histoire des femmes au XXème siècle. Les jeunes réalisent ainsi que les interdictions sont nombreuses autour de la pratiques sportives (et de toutes les pratiques…), que les attentes sociales sont sexuées et que les choix qui apparaissent libres, comme celui de pratiquer un sport et de “mouvoir” son corps, sont très normatifs.

On peut passer aussi “les petites reines de Kaboul” (reportage Arte 2016 sur les femmes qui font du vélo en Afghanistan).

Puis, j’ai travaillé à partir d’un reportage sur la tribu “Mosuo”. C’est une façon pour moi de faire un peu d’ethnologie avec mes élèves, de travailler sur le vocabulaire (matriarcat, patriarcat, partage des tâches, rapports sociaux de sexe, matrilocalité, virilocalité, structure de la parenté, croyances, tabou, etc.) et sur l’organisation singulière de chaque société et sur certains invariants.

Enfin, nous avons été réfléchir avec EgaliGone sur la prise de risque différenciée en France !

Quelles ont été les réactions des élèves ? Des adultes ?

Les réactions ont été riches et intéressées globalement. J’ai beaucoup discuté avec les élèves durant la visite. Ils m’ont parlé de leurs pratiques. La moto sans casque tue presque tous les ans un jeune garçon à la Duchère et ils étaient intrigués par le rôle qu’ils jouent quand ils s’adonnent à cette pratique. Le tabac a aussi fait l’objet de plusieurs discussions car les jeunes femmes fument de plus en plus, ils et elles  avaient dû mal à l’expliquer. Nous avons abordé aussi l’anorexie et la boulimie et d’autres maladies comme le cancer (une jeune fille a pu me dire qu’elle avait été opérée d’un cancer des ovaires et qu’elle se posait beaucoup de questions sur les origines de celui ci, peut-être le distilbène ou le tabac…elle m’a parlé de sa relation à sa mère, à sa grand-mère, de ses angoisses quant à l’impossibilité de la maternité). Les élèves apprennent en réfléchissant à ce qu’ils sont et font. Une des finesses de cette exposition est de ne pas être moraliste et d’expliquer sans enfermer dans de “nouveaux” rôles (qui se voudraient plus modernes, plus ouverts, mais qui au final seraient tout aussi contraints).

As-tu rencontré des difficultés ?

J’ai eu quelques difficultés à organiser la déambulation autour de l’exposition car les classes sont en demi groupe, soit 28 élèves (!), et ils étaient un peu agglutinés sur le premier panneau. J’ai autorisé la photographie du panneau d’introduction (certain·e·s ont tout photographié !) et les élèves ont pu le lire tranquillement et découvrir le reste de l’exposition. Ils avaient un questionnaire à remplir à la maison sur le site “pronote”. J’ai eu beaucoup de mal à obtenir qu’ils le remplissent toutes et tous. La prochaine fois, ils le rempliront tout de suite, et je leur donnerai sur papier, car l’usage de l’informatique en simultané (ou même en différé) n’a pas été satisfaisant et il est intéressant de revenir collectivement rapidement sur ce que l’on a vu et appris. Je pense que mon questionnaire (fait un peu rapidement) a quelques défauts (je pense à la question 13 qui a été mal interprétée). La question 2 était intéressante à discuter avec les élèves.

Voici les questions et l’exemple de réponses apportées dans une des classes :

  1. Les attentes de la société à l’égard des filles et des garçons sont encore différentes 

92% VRAI (23 réponses) / 8% FAUX (2 réponses)

  1. L’exposition nie les différences anatomiques et biologiques entre filles et garçons

24% VRAI (6 réponses) / 76% FAUX (19 réponses)

  1. La mise en danger de soi prend des formes identiques que l’on soit fille ou garçon

28% VRAI (7 réponses) / 72% FAUX (18 réponses)

  1. Les conduites ordaliques (=”jouer avec la mort”) sont souvent une recherche de “toute puissance”(=”se sentir plus fort que la mort”)

96% VRAI (24 réponses) / 8% FAUX (2 réponses)

  1. Prendre des risques a plusieurs facettes et n’est pas toujours négatif

88% VRAI (22 réponses) / 12% FAUX (3 réponses)

  1. Les hommes se tuent beaucoup plus sur la route que les femmes

88% VRAI (22 réponses) / 8% FAUX (2 réponses)

  1. Les hommes vivent souvent la vitesse et le sport comme un rite de passage vers la virilité

96% VRAI (24 réponses) / 0% FAUX (0 réponse)

  1. Les ami·e·s sont parfois des “incitateurs” à la prise de risque

96% VRAI (24 réponses) / 0% FAUX (0 réponse)

  1. Boire, fumer, etc est une prise de risque

96% VRAI (23 réponses) / 0% FAUX (0 réponse)

  1. Les femmes sont plus touchées par l’anorexie et la boulimie car la société fixe des normes inatteignables en terme d’image aux femmes davantage qu’aux hommes

96% VRAI (24 réponses) / 0% FAUX (0 réponse)

  1. Les femmes prennent souvent leur corps comme support de la transgression ou de la prise de risque

84% VRAI (21 réponses) / 12% FAUX (3 réponses)

  1. Pour les garçons la prise de risque peut représenter une exigence sociale de “virilité”

92% VRAI (23 réponses) / 4% FAUX (1 réponse)

  1. Pour les filles, la prise de risque est nécessaire pour démontrer son appartenance au groupe des hommes

28% VRAI (7 réponses) / 64% FAUX (16 réponses)

  1. Les femmes prennent moins de risque (comme boire ou fumer) parce que la société considère que c’est contre leur nature

60% VRAI (15 réponses) / 36% FAUX (9 réponses)

  1. Les garçons sont plutôt encouragés à boire et fumer dans notre société

80% VRAI (20 réponses) / 16% FAUX (4 réponses)

  1. La socialisation joue un rôle important pour expliquer les prises de risque différenciées des filles et des garçons

88% VRAI (22 réponses) / 8% FAUX (2 réponses)

  1. Agir sur l’éducation pourrait permettre de réduire la prise de risque des filles et des garçons

96% VRAI (24 réponses) / 0% FAUX (0 réponse)

As-tu des réactions personnelles, des suggestions à faire pour l’accompagnement ?

L’an prochain, je vais faire venir l’exposition sur les jouets. J’ai déjà plein d’idées pour l’intégrer dans mon cours et j’ai vu qu’un questionnaire était prévu sur l’exposition… J’aurai un outil disponible de plus !




Pour une référence au programme de SES, voir par exemple la page “Comment devenons-nous des acteurs sociaux ?” du site de l’académie d’Orléans-Tours

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