Méryl Teston a effectué un stage au sein d’EgaliGone afin de mener une enquête auprès d’enseignant·e·s en EPS. Le but de sa recherche était de déterminer les impacts de l’utilisation de pratiques et de barèmes différencié·e·s dans l’évaluation des élèves. Elle en a déduit que les inégalités qui persistent au sein des cours de sport entre filles et garçons peuvent être expliquées en partie par la socialisation primaire et la socialisation secondaire. De plus, elle a souligné des carences sur les savoirs concernant l’égalité entre filles et garçons dans la formation des professeur·e·s d’EPS. Voici une synthèse de son travail.

Une forte socialisation primaire orientée selon le sexe

En psychologie sociale, les processus de socialisation primaire et secondaire sont des phénomènes qui permettent à l’enfant d’intégrer les comportements, les valeurs et les normes. L’enfant comprend ce que son environnement attend de lui et apprend à s’y conformer. La socialisation primaire renvoie à la famille, aux ami·e·s, aux personnes proches de l’enfant, elle a une très forte influence sur le développement de l’enfant.

Or, les stéréotypes étant ancrés dans la société, les parents produisent souvent des confirmations comportementales que l’enfant intègre ensuite. Dans le sport, cette socialisation se transmet par une différence d’interaction et de comportement dès le plus jeune âge entre le parent et l’enfant selon son sexe afin de le pousser à correspondre aux rôles sociaux et capacités attendues de son sexe.

Selon Bois et Sarrazin, les parents façonnent la pratique sportive de leurs enfants, la manière d’élever les enfants étant influencée par les perceptions et croyances des parents.

D’après Bois et Sarrazin (2006), le modèle d’Harter explique que le jugement de l’enfant sur sa compétence en sport dépend de la construction de sa motivation impulsée par ses parents. Dans ce modèle, la·le jeune enfant ne ressent que ce que ses parents lui renvoient, son sentiment de compétence semblant donc être totalement dépendant de la réaction de leurs parents. Selon le caractère des réponses données par les parents face aux résultats sportifs de l’enfant, positifs ou négatifs, il ou elle développera alors un renforcement motivationnel ou une inhibition. Les enfants mesurent donc leur intérêt pour le sport et l’importance qu’ils ou elles vont y accorder à travers le feedback qu’ils ou elles reçoivent de leurs parents.

Par ailleurs, les comportements des parents sont différenciés en fonction du sexe de l’enfant. En effet, leurs interactions varient : alors que les garçons sont davantage poussés à faire du sport, à assister à des évènements sportifs ou à les suivre à la télévision, les filles sont, elles, davantage encouragées à lire, à prati

quer la danse ou la musique et à apprendre à cuisiner (Eccles selon Bois et Sarrazin, 2006). De plus, d’après Zajonc (selon Bois et Sarrazin, 2006), chacun·e a une préférence naturelle pour ce qui lui est familier contrairement à ce qui lui est inconnu. Les enfants étant amené·e·s à réaliser des activités différentes selon leur sexe, ils ou elles développeront donc un sentiment de familiarité pour l’activité à laquelle ils·elles sont entraîné·e·s et donc une préférence. En outre, la pratique pourra également accentuer leurs compétences dans ce domaine et donc leurs investissements. Ce phénomène, tel un cercle vicieux, confirmera donc les stéréotypes qui conduisent à caractériser et à étiqueter des activités sportives comme féminines ou masculines et contribuera à la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes.

Ces résultats concordent avec ceux de Vigneron (2006). Selon elle, les expériences motrices que l’on réalise pendant l’enfance suite à des encouragements ou à des interdits de jeux modèlent le corps. Synthétisant plusieurs travaux antérieurs, Vigneron relève également que les filles sont moins encouragées que les garçons à explorer l’espace et donc à développer des capacités motrices diverses durant leur plus jeune âge. La socialisation primaire semble donc influencer fortement le développement de l’enfant.

Création Anne Baptiste

Une socialisation secondaire : les barèmes différenciés et l’effet Pygmalion

La socialisation secondaire concerne les institutions, les associations sportives, les structures sociales que l’enfant fréquente. Il ou elle intègre, grâce aux échanges et à l’observation de son environnement, des valeurs, des normes auxquelles il est attendu de se conformer.

Dans la socialisation sportive secondaire aussi, les interactions et les comportements que l’enfant va expérimenter ou observer, avec un·e entraîneur·e ou un·e professeur·e de sport par exemple, va façonner ses croyances et ses perceptions. Vigneron (2006), rapportant des résultats de travaux précédents, souligne que les effets d’attente des professeur·e·s envers chacun·e de leurs élèves vont modifier leurs conduites et leurs attitudes : les élèves comprennent les attentes exprimées de façon implicite ou explicite, et pas toujours consciemment, et tendent à s’y conformer. D’autres études, toujours mises en lumière par Vigneron, montrent une différence dans l’interaction professeur·e/élève, cette dernière étant plus fréquente avec les garçons que les enseignant·e·s tendent davantage à apprécier pour leur dynamisme et les filles pour leur discrétion. Lentillon et Cogérino (2005), reprenant Bergé, disent que « la neutralité sexuelle du professeur n’existe pas ». D’après ces auteurs, les enseignantes, contrairement à leurs collègues hommes, ont plus tendance à accroître l’écart entre les notes selon les sexes au profit des garçons. D’après Mosconi citée par Lentillon et Cogérino (2005) les réussites des filles seraient davantage dues à leur travail et à leur conformité et celle des garçons à leurs capacités intellectuelles présumées par les enseignant·e·s.

Afin de réduire l’écart entre les résultats d’évaluation entre filles et garçons (recherche d’une harmonisation des notes) imputés pour partie aux écarts physiques innés et pour partie à l’acquisition de la socialisation sportive primaire, l’institution scolaire instaure alors, dans la plupart des établissements, un barème différencié en sport, c’est-à-dire une évaluation différente entre les sexes, plus exigeante pour les garçons et plus facilitante pour les filles. D’après Chavrier (2013), ce système de notation véhicule le mythe de sexe faible et confirme l’idéologie d’une fragilité « naturelle » des filles qui nécessitent donc de l’aide à la vue de leur infériorité.

Sarrazin, Trouilloud et Bois (2005) synthétisant plusieurs articles précédents, propose un modèle de prophéties auto-réalisatrices en fonction des attentes et des processus psychologiques et sociaux. Ce modèle d’appuie sur quatre étapes, la première étant la création d’attentes de la part de l’entraîneur·euse ou de l’enseignant·e de sport sur les performances du/de la pratiquant·e. La deuxième étape serait un traitement différencié des élèves suite aux attentes. La troisième étape consisterait en une prise de conscience des traitements différenciés par les pratiquant·e·s. Enfin, lors de la dernière étape, les élèves se conformeraient aux attentes en adaptant leurs motivations et leurs performances. En outre, ces mêmes auteurs (Sarrazin, Trouilloud et Bois, 2005) présentent les résultats d’une recherche effectuée dans le contexte scolaire qui montrent une corrélation très forte entre les attentes précoces de l’entraîneur·euse ou du / de la professeur·e et la performance finale réalisée par l’élève. Dans l’étude réalisée par Trouilloud et Sarrazin (2002), il est précisé dans les résultats de la recherche que plus l’enseignant·e a des attentes élevées concernant l’habileté d’un·e élève plus celui·celle-ci se percevra comme compétent·e en fin de cycle.

Une formation des professeur.e.s de sport incomplète en matière d’égalité

Dans les entretiens menées durant sa mission, Méryl Teston a relevé une justification semblable pour l’ensemble des professeur·e·s à propose de l’utilisation des barèmes différenciés dans la notation. Cette évaluation est pour eux·elles une façon juste de rééquilibrer des inégalités physiques innées entre les sexes. En effet, comme Vigneron (2006) le rappelle, plusieurs recherches, celles de Narring et al (1997), ou encore de Costill et Willmore, affirment une infériorité du potentiel des femmes sur leurs capacités physiques, notamment sur le système cardio-vasculaire, musculaire et endocrinien. Or, selon Vigneron (2006), l’infériorité des scores obtenus par les filles en E.P.S au baccalauréat est due à l’aboutissement d’une activité modérée, une inappétence pour certains sports. D’après l’auteure, l’écart de performance entre les sexes serait plus issu des effets de la socialisation et d’une valorisation des activités sportives associées au masculin que la conséquence de transformations biologiques pubertaires.

Les enseignant·e·s interrogé·e·s semblent donc minimiser ou ignorer l’impact de la socialisation sur les corps et mettent en avant les inégalités physiques réelles ou supposées entre les sexes. Leurs connaissances concernant la formation des stéréotypes et les questions d’égalité paraissent peu approfondies. La majorité des enseignant.e.s d’après divers travaux estime que le seul fait d’éduquer dans un contexte de mixité, où les filles et les garçons sont ensemble, suffit à obtenir une égalité entre eux (Salle, Ferrière, Morin-Messabel, 2012). Les chercheur·e·s en psychologie sociale relèvent donc une nécessité de questionner les modalités et les effets de la mixité afin de lutter contre les persistances d’inégalités des sexes.

Bibliographie

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  • Bois, J., Sarrazin, P., Trouilloud, D. (2005). Attentes du superviseur et performance sportive du pratiquant. Amplitude et fonctionnement de l’effet Pygmalion en contexte sportif. Bulletin de psychologie, numéro 475,(1), 63-68. doi:10.3917.
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  • Morin-Messabel, C., Ferrière, S. et Salle, M. (2012). L’éducation à l’égalité « filles-garçons » dans la formation des enseignant-e-s. Repéré à : http://rechercheformation.revues.org/1709. doi: 10.4000/rechercheformation.1709
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  • Vigneron, C. (2004). La construction des inégalités de réussite en EPS au bac entre filles et garçons. Education. Université de Bourgogne, UFR Sciences humaines, Thèse.