Par Célia Régnard

« Ancienne sportive de haut niveau et la seule femme à présider en France un club professionnel masculin de handball tous sports collectifs confondus de 2008 à 2012, l’US Ivry Handball, Béatrice Barbusse est sociologue, maîtresse de conférences à l’université Paris-Est Créteil. Elle est également présidente du conseil d’administration du Centre National pour le développement du sport et membre du conseil d’administration de la Fédération française de handball, au sein duquel elle assume la coresponsabilité du plan de féminisation national ».

Méthodologie du livre :

« Dans quelle mesure le sport se conjugue-t-il au féminin, y compris dans le sport-business ? ». Pour répondre à ce questionnement, l’auteure s’appuie tout d’abord sur son expérience personnelle et sur un journal qu’elle a tenu pendant plusieurs années. La technique méthodologique utilisée est la participation observante. De fait, dans cette technique, « l’engagement est d’abord celui de l’action, pas celui de la recherche », ce qui permet de saisir le vécu subjectif des acteur·trice·s. L’objectif de ce livre est de combattre le sexisme sportif et de lutter contre les inégalités et discriminations qui vont avec.

 

Chapitre 1. Le sexisme est dangereux 

 

Il y a plusieurs degrés de sexisme qui produisent des conséquences sur les individus. Par exemple, le sexisme hostile « impose des restrictions aux rôles féminins et dénigrent largement les femmes ». Le sexisme ordinaire est bien souvent inconscient, et un grand nombre de personnes sont incapables d’identifier un comportement sexiste.

Béatrice Barbusse témoigne de la conséquence de ce sexisme omniprésent : « C’est l’accumulation quasi quotidienne de telles remarques qui finit par m’user de l’intérieur ». « Au fil du temps, elles agissent comme un poison (…), au risque de laisser paraître un véritable sentiment d’infériorité, un manque d’estime de soi ».  Il y a aussi les blessures causées par l’indifférence des personnes témoins d’actes sexistes. L’humour est également une arme pour discréditer l’autre, le discriminer ou l’inciter à s’auto-discriminer. Béatrice Barbusse explique qu’elle regarde son CV régulièrement pour se sentir légitime d’être présidente de la fédération.

Ensuite, le sexisme sportif peut s’exprimer de façon violente, car au sein de l’univers sportif en compétition, la violence physique, morale ou symbolique est permanente et finit par devenir banale. Les effets du sexisme sont notamment : stress permanent, peur, angoisse, baisse de la prise de parole et résignation.

 

« Cette culture de la violence qui légitime le sexisme finit parfois par se retourner contre les hommes eux-mêmes ». En effet, les hommes qui refusent de pratiquer un sport sont suspectés d’être homosexuels, de ne pas être de « vrais hommes », etc. Ils subissent l’injonction à la masculinité. Ainsi, le fait de féminiser le sport « c’est aussi participer au changement de mentalité nécessaire à l’émergence d’un sport plus respectueux de ces acteurs.trices ».

 

Chapitre 2.  Les sports ont-ils un sexe ?

 

L’approche essentialiste est questionnée afin de démontrer pourquoi il faut sortir de cette vision pour réellement penser l’égalité. Dans ce chapitre, Béatrice Barbusse traite de l’aspect historique, indispensable pour comprendre les enjeux contemporains concernant l’égalité dans le sport. En effet, longtemps les femmes ont été tenues à l’écart de cette sphère.

 

Historiquement, le sport est un univers exclusivement masculin. C’est l’activité de loisirs où les stéréotypes de genre sont les plus présents car la référence biologique y est très forte.

De plus, la norme masculine est omniprésente, jusque dans les noms des postes (dans les sports collectifs) qui ne se sont pas féminisés. C’est pourquoi, « en féminisant le sport, on le dépouille d’une partie de ses fonctions socialisatrices originelles. Dès lors, la place de la femme dans le sport ne peut pas évoluer si les représentations de la masculinité n’évoluent pas parallèlement ».

Pour elle, le sport féminin n’existe pas et « continuer à parler de sport « féminin », c’est enfermer le sport pratiqué par des femmes dans un espace confiné et donc le maintenir à la marge de l’ordre sportif ».

 

Chapitre 3.  Les sportives doivent-elles être féminines ?

 

D’après Pierre Bourdieu, le sport a une place particulière dans le mécanisme d’incorporation de la domination masculine. Il s’agit de l’habitus corporel. Christine Mennesson montre « comment les institutions sportives, (…) tentent de contrôler le genre et la sexualité de sportives en les invitant à mettre en valeur « leur féminité » et en les encourageant à l’hétérosexualité ». Face à ces injonctions, les sportives de haut niveau ont des logiques individuelles différentes. Certaines sportives « choisissent » d’instrumentaliser leur corps, plutôt que de mettre en avant leurs performances sportives. En effet, elles espèrent en tirer profit individuellement. De cette façon, elles prennent le risque que ce soit instrumentalisé ensuite par le système sportif.

 

D’autres sportives veulent être à la fois des femmes et des sportives. Camille Froidevaux-Metterie pose l’hypothèse suivante : « la démarche d’embellissement obéit à une logique proprement inverse de celle d’aliénation à laquelle elle est communément ramenée, elle témoigne d’une véritable appropriation de soi qui est aussi un projet de coïncidence de soi » (Froidevaux-Metterie, 2015). Cependant, sur le plan collectif, cette démarche tend à renforcer les stéréotypes visant les femmes.

 

L’apparence joue un rôle central pour les sportives, liée au « processus de socialisation sexuée inversée » qu’elles ont eu. Pour être performantes, elles doivent être fortes, rapides, brutales, ce qui correspond plutôt à une socialisation sexuée masculine. Et en contrepartie, elles veulent légitimer leur appartenance au genre féminin. Dans le milieu sportif, il y a deux suspicions qui pèsent sur les femmes sportives : le fait qu’elles n’appartiennent pas à la catégorie des femmes, et le fait qu’elles soient lesbiennes. Pour l’auteure, les sportives transgressent les normes, et de fait elles « illustrent la révolution du féminin ».

 

Chapitre 4. Comment les femmes de sport doivent-elles s’habiller ?

 

Dès la fin du XIX siècle il y a une stigmatisation des « tenues indécentes ». La domination masculine s’exprime à travers les vêtements sportifs. En effet, « on constate qu’à chaque fois c’est le pouvoir sportif détenu quasi systématiquement par les hommes qui décide de la manière dont les femmes doivent se vêtir pour s’adonner au sport de compétition ».

Par exemple, concernant la question du port du voile : certaines sportives portent des vêtements occidentaux et sont poussées à l’exil par leur pays, alors que parfois, lorsqu’elles refusent de dénuder leurs bras et leurs jambes, elles sont susceptibles d’être interdites de grandes compétitions nationales et internationales.

Il y a un réel enjeu d’égalité concernant la tenue des sportives.

 

Chapitre 5. Les femmes sont-elles capables de manager le sport ?

 

Les femmes ont peu accès à des fonctions dirigeantes du monde sportif. Caroline Chimot a effectué sa thèse sur la répartition sexuée des dirigeant·e·s au sein des organisations sportives françaises. Il y a une double division du travail sportif :

  • Horizontal : plus on est proche du terrain sportif et moins on trouve de femmes.
  • Vertical : plus on est en haut de la pyramide organisationnelle et moins on trouve de femmes.

Béatrice Barbusse témoigne que « les hommes au pouvoir n’ont généralement pas conscience des avantages que leur vaut le simple fait d’être un homme, ce qui les rend aveugles aux handicaps liés à la condition féminine ». Quand il s’agit d’une femme nommée à une fonction dirigeante, il y a une suspicion d’incompétence. Il y a également un stéréotype très présent : « les hommes et les femmes ne managent pas de la même manière ». En réalité, les travaux de Sarah Saint-Michel démontrent le contraire. Finalement, « ce n’est pas le sexe en lui-même qui produit les différences, mais la façon dont les managers perçoivent leur style de management en fonction de leur sexe d’appartenance ». Ainsi, les femmes finissent par manager de la façon dont on attend qu’elles managent. Il s’agit du « théorème de Thomas » : « Quand les hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences ». (Robert K.Merton 1997).

 

Chapitre 6.  Et maintenant, et demain ?

 

Depuis les années 80 il y a de plus en plus de pratiquantes, mais la pratique se féminise surtout pour les sports ne nécessitant pas de licence.

Dans les médias, il y a aussi une féminisation, malgré l’existence d’inégalités qui perdure : le sport au féminin d’élite dispose à peine de 15 % d’exposition. Ensuite, seulement 3% des montants investis dans le sport concernent la pratique féminine.

Pour faire avancer la lutte contre le sexisme et les inégalités dans le sport, il est nécessaire de faire des campagnes de communication, de sensibilisation à la connaissance et à l’identification des processus liés au sexisme et aux stéréotypes de genre.

La réflexivité (capacité d’un individu à avoir une réflexion, dans une certaine distance sur sa propre réalité) est importante et doit permettre une révolution silencieuse.

D’après Béatrice Barbusse, certaines sportives élèvent leur voix contre le sexisme, et elles doivent développer une conscience de genre qui permettra un combat collectif.

 

Concernant la place et le rôle des hommes, Francis Dupuis-Déri a expliqué que certains hommes ont une posture pro-féministe, et que « c’est toujours par l’effort déployé par des féministes que des hommes deviennent pro-féministes ». Il les engage à intégrer un double processus de « disempowerment » :

  • une (auto)réduction du pouvoir individuel et collectif qu’exercent les hommes sur les femmes,
  • et un (auto)positionnement d’auxiliaires par rapport aux féministes. (Francis Dupuis-Déri, 2006)

 

La pratique sportive pour les femmes a différents intérêts : mieux accepter son corps, être sensibilisée à l’hygiène de vie, réduire l’ostéoporose, accroître la mobilité etc.

Sur le plan psychologique, le sport participe à la construction de soi, agit positivement sur l’estime personnelle et finit par accroître la confiance en soi, procure de l’assurance, renforce le bien être relationnel, favorise l’apprentissage de certaines compétences comme l’esprit d’équipe, la prise de décision, la capacité à négocier, la gestion des conflits, etc.

Finalement le sport peut être un instrument de lutte contre les inégalités dans la société.