Stéphane Coux, directeur de crèche et du Pôle Petite Enfance à la Maison Sociale Cyprian les Brosses de Villeurbanne, a répondu aux questions de Julie Douglas le 29 juin 2017, alors qu’elle était en service civique à EgaliGone.


Comment vous vous êtes intéressé à la question d’égalité entre les filles et les garçons ?

Il se trouve que j’interviens à l’Ecole Santé Social du Sud Est qui forme des éducateurs·trices de jeunes enfants. Moi-même je suis éducateur de jeunes enfants de formation. Il y a trois ou quatre ans, j’ai accompagné un étudiant qui voulait travailler sur le sujet de l’égalité filles-garçons, sujet que je ne connaissais pas trop à l’époque. D’autant plus que sur la petite enfance on n’avait pas du tout l’impression d’avoir de problématique ou d’interrogation à ce niveau-là. Ensuite, il a fallu que je me mette en contact avec EgaliGone, qui avait été déterminé comme ressource possible par l’étudiant. Et en creusant sur le site internet ça m’a fait réaliser, m’a fait prendre conscience que personnellement et professionnellement, il y avait des choses à travailler, y compris dans mon équipe. Ensuite, j’ai contacté EgaliGone et on a regardé s’il y avait l’opportunité d’intervenir auprès de mon équipe, soulever des questions et laisser des gens s’exprimer, voir si on pouvait améliorer notre accueil par la porte d’entrée de l’égalité filles-garçons. Et c’est comme ça que ça a commencé.

L’approche égalitaire pour les filles et les garçons, comment cela s’articule de nos jours ?

Je trouve que la porte d’entrée de penser à nos enfants, elle marche bien finalement. Parce que je crois que les parents, dans leur immense majorité, ont vraiment de l’ambition pour leurs enfants quelque part, quel que soit leur sexe. Il suffit juste d’en prendre conscience. C’est le plus dur je trouve, y compris pour nous quand on démarre – en France on a l’impression qu’il y a une égalité entre les filles et les garçons, on a l’impression qu’il n’y a pas d’homophobie, pas de racisme, on est le pays des droits de l’Homme etc. Et en fait on a un gros défaut, on n’arrive pas à se voir faire. Et quand on regarde un peu, il y a du boulot.

Qu’est-ce que cela signifie que la Maison Sociale soit membre d’EgaliGone ?

Comme la Maison Sociale est composée de différents pôles – Petite Enfance, Enfance, Pole Adulte, Emploi et Insertion, on est chacun∙e responsable d’un pôle différent. Le fait que la Maison Sociale soit membre d’EgaliGone montre que tous les pôles sont censés adhérer aux valeurs d’égalité et de liberté de choix pour les enfants comme pour les adultes. Si je veux recruter un animateur ou une animatrice sur le pôle 3-6 ans, comme on travaille la question de l’égalité filles-garçons, il faudra que la personne soit en adéquation avec ces valeurs-là, pour le recrutement à la Crèche c’est pareil.

A la Maison Sociale Cyprian-les Brosses, est-ce que toute l’équipe est formée ?

Tout le monde est en cours de formation. Dans notre équipe à la crèche il y a toujours des mouvements avec des gens qui partent et qui arrivent. La chance que j’ai c’est que j’ai toujours un noyau dur qui est formé depuis plus longtemps qui reste sur place et adhère à ces questions-là. Celles et ceux qui sont arrivé·e·s récemment ont pu bénéficier d’une formation cette année. Lors de la première intervention qu’on a eue a la crèche, tout le monde a osé s’exprimer y compris sur des choses qui ne vont pas dans le sens de l’égalité filles-garçons, ce que je trouvais intéressant. L’anecdote que nous a tous interpellé·e·s à la crèche c’est que l’éducatrice, non pas l’animatrice qui n’est pas entièrement formée, faisait de l’autocensure régulièrement. C’est-à-dire que tous les jours à l’heure du goûter, on avait un petit garçon qui avait pour rituel de mettre la robe de la Reine des Neiges. Sans que les parents n’aient jamais râlé, (en l’occurrence, c’est son papa qui venait le chercher) l’éducatrice s’autocensurait, et à cinq heures moins le quart, elle commençait à dire à l’enfant « Ecoute on va enlever la costume, on va faire autre chose »  elle proposait de jouer avec les voitures, mettre une costume de cowboy… voilà. Et ça, personne ne l’avait remarqué, personne n’avait vu ce qui pouvait gêner l’enfant dans cette posture-là.

Donc ça a vraiment mis en route des choses alors qu’on avait vraiment l’impression de ne pas être inégalitaire, de ne pas être dans des stéréotypes… si en fait. Les parents sont informés aussi, on a toujours la réunion de rentrée et ça fait deux ans qu’EgaliGone nous accompagne pour nous sensibiliser en tant que professionnel∙le·s sur les questions d’égalité des sexes et que notre posture professionnelle a une vraie importance.

Il me semble que vous travaillez des postures égalitaires bien en amont. Est que vous faites aussi des activités avec des enfants qui visent l’égalité ?

Nous sommes en train de tester le projet EgaliJouets, sous la supervision d’EgaliGone. Pendant quatre jours pour quatre mois de suite, on a mis en place uniquement des jeux de construction quel que soit le groupe : petits, moyens ou grands. Et l’idée était de voir quelle était leur réaction, comment les enfants s’en sont saisis. On a aussi travaillé sur la question du langage et du vocabulaire des encadrant∙e∙s parce qu’on a des réflexions, des postures professionnelles un peu stéréotypées parfois. Une petite fille vient vous voir avec sa robe « Oh, qu’est-ce que tu es jolie ! » ça sort tout seul. Or, maintenant, on va voir comment on peut répondre plus par comment je peux accompagner l’enfant dans le développement de son appréciation, sa valeur personnelles et non pas aussi souvent sur le jugement se son vêtement, que ce soit pour une fille ou pour un garçon.

Et de la part des parents et des familles, est-ce que vous avez eu des retours après ces réunions de sensibilisation ?

Heureusement, on travaille quand même en confiance avec les parents, on les connaît depuis longtemps. Si on met en avant l’intérêt de l’enfant à court, moyen et long terme, 98%/ 99% des parents vont y adhérer et c’est le cas. Quand on a présenté le projet aux parents, j’ai eu 1 parent sur 30 parents qui a émis des réserves en disant « De toute façon moi, ma fille c’est poupée et rien d’autre, si vous lui donnez une voiture, elle ne s’y intéressera pas ». En effet, son enfant avait 3 ans, la question de l’éveil avec des jouets se travaille un peu avant mais on a aussi découvert que cela peut chambouler un certain nombre de repères pour les parents et pour les professionnel∙le∙s mais quand on arrive à recentrer le débat sur l’intérêt de l’enfant – des filles et des garçons, tout le monde est victime dans cette histoire-là – des gens ils entendent très bien.

Quand vous parlez avec d’autres maisons sociales à Villeurbanne ou à Lyon, quelles sont les tendances à propos d’égalité ?

Ce qui revient, c’est que les gens ont l’impression de bien faire. En plus de cela, avec la Petite Enfance, c’est encore plus vicieux, parce que c’est moins visible. Quand on est sur des activités des enfants un peu plus grands, c’est plus flagrant. Dans la petite enfance, on ne va pas trop leur interdire l’accès à la dinette ou des costumes, on laisse faire c’est plus insidieux. Comme avec l’utilisation des matériaux ou d’outils, comme les livres jeunesse, on pense bien faire notre travail parce qu’on raconte des histoires aux enfants et qu’on est en adéquation avec le langage, l’imagination… Mais quand on regarde bien le livre qu’on propose aux enfants, on oublie la question des rôles attribués aux filles aux garçons… Il y a aussi ce travail à faire des messages subliminaux et en tant que professionnel.le, il est favorable de préparer le contenu du livre qu’on présente aux enfants.

Nous avons dix pour cent d’hommes engagés au sein de l’association. A votre avis, pourquoi il n’y a pas plus d’hommes qui se sentent plus concernés par cette question ?

Alors je n’ai pas les statistiques mais j’ai plutôt l’impression que les hommes sont quand même bénéficiaires de cette situation générale. C’est plus difficile de se mettre à la place des filles ou des femmes si on a plutôt été protégés. Maintenant, ça ne doit pas venir décourager le fait de vouloir changer des choses.

Moi, personnellement ce qui m’a donné envie de bouger, c’est que j’ai une fille, et que c’est hors de question pour moi qu’il y ait un schéma type, qu’éventuellement des enfants reproduisent mes propres erreurs. J’ai vraiment envie que ma fille ait le choix – dans sa vie personnelle, dans sa vie professionnelle, en tout cas quelles que soient la posture ou la position qu’elle aura plus tard, je veux qu’elle ait choisi. En tant que parent-éducateur, et en tant que directeur de crèche-accueil de loisirs, ma responsabilité implique que je veux que les enfants que j’accompagne, à un moment donné, puissent choisir ce qu’ils ou elles ont envie de faire.

Et je pense que les hommes n’y vont pas plus puisqu’il est difficile de bouger des curseurs quand on est héritier d’une éducation, c’est compliqué pour tout le monde. On voit qu’un certain nombre de femmes sont contre aussi. Ça montre bien que ce n’est pas juste une question de position sociale inégalitaire, il y en a.

Je ne m’attendais pas à autant de résistances de la part des femmes dans l’équipe de crèche. En général, ces équipes sont beaucoup plus constituées de femmes que d’hommes. J’ai un collègue et moi-même, ce qui est déjà beaucoup dans une équipe de crèche. Naïvement, je pensais que des femmes allaient beaucoup plus adhérer à ces questions-là, toute génération confondue, des anciennes, des nouvelles, des jeunes… toutes ! Ça dépend vraiment d’une culture personnelle, je me suis dit que ça allait peut être leur faciliter… mais pas du tout, il y a eu des résistances. Il fallait vraiment recentrer vers l’intérêt de l’enfant. Du coup, je pense que les hommes sont un petit peu plus protégés et du coup ont moins envie d’aller voir EgaliGone.