Par Violaine Dutrop-Voutsinos, fondatrice et présidente de L’institut EgaliGone.

Ce texte est une restitution de l’intervention faite en conclusion de la soirée du 6 juin 2019 à la mairie du 6e arrondissement de Lyon, lors de l’événement intitulé « Éducation fille-garçon : halte aux stéréotypes et à l’auto-censure » organisé par le collectif de parents Les Z’enfants du 6.

Enfants jouants au foot
© pexels

« Nous avons tous et toutes vécu des expériences d’empêchement du fait de notre sexe. Il y a rarement une coïncidence parfaite entre ce qui est attendu d’une fille ou d’un garçon et ses caractéristiques personnelles. Ainsi une fille peut aimer le foot et se mettre en colère, alors que ce n’est pas attendu d’elle, tandis qu’un garçon peut aimer la danse et verser régulièrement des larmes bien que ce ne soit pas habituellement attendu d’un garçon.

En tant que parent, si l’on prend un peu de recul, nous sommes donc face à une sorte de paradoxe éducatif : avons-nous intérêt à favoriser l’intégration à tout prix parmi les autres enfants, qui implique que l’enfant se conforme à ce qui est attendu de son sexe ? Si cela ne lui correspond pas, il ou elle risque d’en souffrir et de développer une mésestime de soi. L’autre option est de l’aider à défendre ses aspirations personnelles et ses caractéristiques propres, même si elles sont différentes ou contraires à celles du plus grand nombre ou simplement à ce qui est attendu de son sexe ? Dans ce cas, l’enfant risque la marginalisation et l’exclusion du groupe.

C’est bien sûr le respect de la personnalité de votre enfant que je vous propose de viser, mais cette perspective nécessite de le ou la doter en ressources personnelles fortes. Chaque enfant devrait en effet pouvoir se dire « Je suis une fille / un garçon et je peux librement et fièrement investir toutes les activités humaines  ». Pour cela, un cadre éducatif sécurisant, soutenant, est indispensable. Un cadre qui favorise l’estime de soi. Et j’ai une bonne estime de moi quand l’écart est faible entre moi et mon moi idéal.

Pour aider votre enfant à se rapprocher de lui ou d’elle-même, je vais vous proposer sept postures d’adulte qui lui permettent de se doter de ressources utiles à l’affirmation de soi. Pour chacune de ces postures, il s’agit de l’inviter à un comportement particulier. J’ai imaginé l’acronyme E.C.R.I.A.D.E., pour retenir ces sept comportements ressources.

  • E comme EXPÉRIMENTER, pour oser

La posture parentale est alors PERMETTRE / SOUTENIR.

C’est bien sûr l’expérience qui crée les capacités et non l’inverse. Il s’agit donc d’offrir aux enfants une palette d’expériences dans lesquelles il leur sera possible de puiser, de se ressourcer en cas de difficulté dans leur vie. La variété d’expériences leur permet de :

. Prendre des risques, se tromper et apprendre de leurs erreurs

. Se confronter à la nouveauté, se lancer, se dépasser, apprendre

. Se découvrir des capacités (physiques, émotionnelles, intellectuelles, etc…) et des goûts et des plaisirs (ou déplaisirs) spécifiques

. Développer leur empathie, leur confiance et leur attention aux autres (par exemple dans les expériences de soin à autrui)

  • C comme CONNAÎTRE, pour se protéger

La posture parentale est alors RÉPONDRE / S’INFORMER.

Connaître, c’est nommer, défendre et se protéger. Je vous donne deux exemples dans lesquels le développement des savoirs est indispensable :

. La connaissance de son corps et de son fonctionnement, ainsi que TOUT le vocabulaire correspondant, sans tabou

. Une approche historique partagée, critique, plus objective et plus complète des sociétés humaines. IL s’agit de connaître l’organisation passée et présente de l’ordre sexuel et des logiques d’impérialisme et de domination. Par exemple :

. Les évolutions de la langue française et les décisions politiques qui ont fondé la prééminence du masculin sur le féminin au XVIIe siècle.

. L’histoire des colonisations, leurs motivations, leurs moyens, leurs effets sur les différentes populations concernées, jusqu’à nos jours

. L’évolution différenciée des droits des hommes et des femmes, ainsi que celle des différents mouvements qui y ont œuvré et des obstacles.

. L’histoire de la médecine, couplée à celle des chasses aux dites « sorcières »

  • R comme RESSENTIR, pour se connaître et s’apaiser

La posture parentale est alors PERMETTRE / ACCUEILLIR.

Nous savons que l’accès à ses émotions rend meilleur·e. Il permet de développer l’empathie et donc l’accueil des émotions des autres. Toutes les émotions sont dignes d’être nommées et accueillies, dès le plus jeune âge, ce qui diminue la violence contre soi et contre les autres. Être autorisé·e à ressentir et savoir nommer les émotions, sa peur ou sa colère notamment, avec un vocabulaire étendu et juste, c’est aussi accéder à et accueillir sa part vulnérable. C’est identifier qu’à chaque émotion ressentie correspond un besoin particulier, qui peut et doit être satisfait. J’ai peur, je dois être rassuré·e. Je suis en colère parce que je me sens menacé·e ou non respecté·e et que j’ai besoin de faire changer cela. C’est se sentir légitime dans ses ressentis et se donner l’occasion de faire face plus sereinement dans les moments difficiles.

  • I comme S’INSPIRER, pour rêver et se projeter

La posture parentale est alors PROPOSER DES MODÈLES ÉMANCIPATEURS.

Nous savons que l’accès à des modèles variés permet d’entrevoir tous les possibles. Si ces modèles sont émancipateurs, la projection est prometteuse.

Nous savons aussi que des modèles problématiques font diminuer l’image de soi : une étude montre que c’est le cas pour les joueurs comme pour les joueuses après 15 minutes de pratique d’un jeu vidéo dans lequel les personnages hommes et femmes sont physiquement très stéréotypés et impossibles à atteindre.

Des modèles plus ou moins émancipateurs sont partout, questionnons-les : famille (soi, couple, parents, entourage… notamment dans la répartition des tâches et les positions sociales), ami·e·s, littérature, films, entourage élargi, médias numériques, jouets, jeux vidéo, publicités…

  • A comme ANALYSER, pour développer sa capacité critique

La posture parentale est alors INVITER L’ENFANT A S’ÉTONNER, OBSERVER, S’INDIGNER.

Il s’agit de faire comprendre à chaque enfant que c’est dans l’anodin que réside l’important. Et qu’il est possible d’agir, d’avoir un pouvoir sur la vie, sur le monde, et de mettre à distance la résignation.

Par exemple, on l’aidera à repérer les clichés dans les publicités, les livres ou les situations, à repérer les généralisations qui limitent les individus.

Une simple analyse des situations proposées dans un manuel de mathématiques (verbes et adjectifs utilisés, lieux et types des actions mises en scène…) peut montrer aisément que les deux sexes n’y sont pas présentés dans des contextes égalitaires.

  • D comme DIRE, pour faire exister

La posture parentale est alors DONNER L’EXEMPLE DANS SA PAROLE.

Ce qui n’est pas nommé n’existe pas.

Voici par exemple ce qui peut utilement être mis en pratique :

. Dire toutes les activités humaines dans les deux genres

Exemple : « l’école d’infirmiers et d’infirmières », ou « l’école de soins infirmiers » au lieu de « l’école d’infirmières » de Rockfeller

. Nommer ses émotions

. Dire ses besoins (et donc se connaître, les identifier)

. Proscrire l’humour qui véhicule des clichés sur des catégories de population.

Le psychologue Gordon Allport place cette pratique en première étape de son échelle de préjugés et de discrimination, qui explique comme le terreau est nourri pour favoriser les violences contre les populations visées, jusqu’à l’extermination.

. Exprimer dans la langue un rapport équilibré entre le masculin et le féminin

En formule épicène : les personnes, les élèves, la population étudiante ; en formule équilibrée et par ordre alphabétique : les femmes et les hommes, les citoyennes et les citoyens, les lecteurs et les lectrices, etc.

. Éviter les prophéties autoréalisatrices

Exemple : « elle est sage, c’est une fille », « il a besoin de se défouler, c’est un garçon ». Ces formules toutes faites sont des clichés qui conduisent les enfants à se conformer à l’attente de l’adulte même si c’est éloigné de leur nature profonde.

  • E comme ÊTRE EN RELATION, pour partager des valeurs justes

La posture parentale est aussi DONNER L’EXEMPLE DANS SES ACTES.

Un questionnement sur les valeurs prônées dans l’entourage de l’enfant peut être utile : où se place la coopération / l’entraide par rapport à la compétition ? L’être par rapport à l’avoir ? L’être par rapport au paraître ?

Cultive-t-on réellement la bienveillance ? Comment estime-t-on les comportements hors norme des autres ? S’autorise-t-on soi-même des comportements hors de la norme mais qui nous correspondent ?

Y a-t-il une cohérence entre nos principes et nos actes ? Et surtout, est-il possible de parler avec ses enfants de ses propres contradictions ?

C’est évident que des personnes ont montré ou ouvert la voie d’un choix inhabituel pour son sexe. Aujourd’hui des femmes sont magistrates ou chirurgiennes et des hommes sages-femmes. Il fut un temps où c’était impossible. Cependant la division sexuée des places et des tâches subsiste malgré les lois, témoignant des empêchements, des obstacles à une répartition des personnes sur l’ensemble des activités humaines quel que soit leur sexe. La place des hommes en petite enfance ou dans le soin aux autres en général reste à conquérir, celle des femmes en mécanique, dans le bâtiment ou en informatique aussi. Seulement 12 % des métiers sont considérés comme réellement mixtes.

Je vous souhaite un bon travail éducatif mais surtout une grande indulgence vis-à-vis de vous-même, car la tâche est colossale ! »

Violaine Dutrop-Voutsinos