Par Violaine Dutrop

Une enquête a été menée en 2020 et 2021 auprès des filles de 13 à 20 ans en Pays de Loire. Les paroles de plus de huit cents d’entre elles ont été récoltées dans un travail intitulé Aux filles du temps, restitué dans un site internet (malheureusement fraichement piraté en juin 2023). Un compte Tic Toc et plusieurs pages Instagram subsistent heureusement, ainsi que le livre Ce que nos filles ont à nous dire” La première génération post me-too, de la journaliste Florence Pagneux, paru en 2022 grâce la maison d’Edition engagée La mer Salée. L’enquête, imaginée et menée par Alexandra Benhamou, du collectif Lady de Nantes, a été accompagnée par les sociologues Anaïs Le Thellec et Clara Vince. Une adaptation au théâtre par des élèves, avec l’atelier ado du Théâtre du Cyclope à Nantes, a suivi ce travail pour le restituer et engager chacune à se sentir entendue. Nous apprenons que “un garçon dit avoir découvert, compris à quel point il était privilégié, ému de ce que pouvaient vivre les filles”. Le documentaire est l’étape suivante.

Le livre Ce que nos filles ont à nous dire restitue les résultats de l’étude Aux filles du temps, en chiffres comme en témoignages. Non seulement il dresse le portrait de cette génération de filles, mais il apporte une analyse et des ressources utiles et émancipatrices sur chaque thème abordé, croisées avec les résultats d’autres enquêtes.

Au programme de cet ouvrage qui balaye huit chapitres, il y a “le genre dans tous ses états”, le regard que les filles portent sur la vie – bien différente – des garçons, leur relation au mouvement féministe (on y parle notamment du film Moxie et de l’initiative des Mains violettes à Nantes qui dénonce les violences sexistes et sexuelles dans les établissements scolaires), leur rapport à leur corps et les regards qu’il suscite, l’éducation – et la non éducation – à la sexualité, le harcèlement de rue, les violences physiques, psychologiques et sexuelles y compris dans le couple, et enfin l’orientation scolaire avec les tristes résultats de la socialisation différenciée, du poids des récits, des manuels scolaires sexistes. L’autrice rappelle les observations sociologiques : “Quand les premiers apprennent à l’école à parler, s’affirmer ou contester l’autorité, les secondes apprennent à s’y soumettre, à moins exprimer leur pensée et à limiter leurs échanges avec les adultes, qui, de toute manière, les valorisent moins que leurs homologues masculins. Une route toute tracée pour que les uns visent les postes de pouvoir, les unes les postes d’application”. On y parle bien sûr de la forte responsabilité du monde adulte dans le maintien des rapports de domination, donc des inégalités et de la reproduction des violences à l’encontre de tout ce qui est considéré comme féminin.  

Quelques chiffres de l’enquête parmi ceux révélés dans l’ouvrage :

  • “2,21% des personnes répondantes (nées dans un corps de femmes), se définissent comme garçon et 3,44% comme non binaires (ni totalement fille, ni totalement garçon)”.
  • 67% se déclarent hétérosexuelles, 12% bisexuelles, 8% pansexuelles (sans considération pour son sexe d’origine), 3% lesbiennes.
  • 84% des répondantes déclarent s’interdire de porter des vêtements qu’elles aiment. “Finalement, les jeunes filles ne connaissent presque jamais l’insouciance”.
  • “Près de 6 filles sur 10 ont déjà eu un rapport sexuel sans en avoir envie“… (Elles ne sont que 43% à déclarer ne pas avoir eu de relations sexuelles sans en avoir eu (trop) envie.)
  • Les répondantes s’informent sur la sexualité d’abord auprès de leurs ami·es (36%), puis internet (32%), puis leur médecin traitant (16%), le planning familial (9%) et la famille (3%). Elles sont 67% à ne jamais ou très rarement aborder le sujet de la sexualité avec leurs parents ou leurs responsables légaux.
  • Elles sont seulement 49% à se sentir bien informées sur l’IVG.
  • L’autrice rappelle que l’école ne met pas en place les trois séances obligatoires d’éducation à la sexualité par année de scolarité : en février 2022, une enquête de #Noustoutes révélait que seulement 13% des jeunes les ont eues et que “les thématiques psycho-émotionnelles et juridiques ne sont quasiment pas abordées, laissant la place à une approche purement biologique de la vie affective et sexuelle” qui ne sert pas à prévenir les violences sexistes et sexuelles.
  • 8 filles sur 10 ont déjà été victimes de harcèlement de rue. 44% font le choix de ne pas rentrer seules la nuit. Les garçons quant à eux expérimentent l’espace public comme leur domaine.
  • Concernant les violences des jeunes couples, “angle mort des politiques publiques”, 37% des filles ont déjà eu peur de leur partenaire, “près d’une sur cinq affirme avoir déjà été poussée, mordue, empêchée de sortir, brûlée ou étranglée” et 64% des répondantes “ont caché ou minimisé leurs problèmes de peur que leur entourage voie leur partenaire différemment”…
  • Mais… parmi les points positifs, la conscientisation et la volonté de changement sont fortes. “Chez les 13-16 ans, elles sont 58% à se considérer comme féministes (…). Ce taux grimpe à 70% chez les 17-20 ans”. Elles sont 89% “à en maîtriser la définition, celle d’un courant de pensée et d’un mouvement politique, social et culturel en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elles en ont une vision en grande majorité positive”.
  • Par ailleurs, 36% des enquêtées ont participé au moins une fois à une marche pour le climat.

L’autrice conclut que “Nos jeunes filles prennent la parole sur leur corps, leur liberté de genre, sur le monde (…) Elles contribuent à modifier le comportement des adultes qui les entourent, de leurs pères et de leurs mères. Leur maturité et leur détermination forcent le respect. Nos filles nous disent aussi de ne plus les limiter par peur pour elles, mais de les suivre” et qu’il est “temps de les écouter”.

Quant à Alexandra Benhamou, elle ajoute notamment que “les résultats parlent d’eux-mêmes et font état d’une projection très peu réjouissante pour ces adultes en devenir tant la violence de leur quotidien est inquiétante”. Elle nous enjoint à éduquer “nos fils à se défaire des injonctions patriarcales” et “nos filles à faire de la sororité un fondement, une ressource inestimable”.

Ce serait formidable de dresser également le portrait des garçons de cette génération, afin de mieux saisir les ressorts de la construction des identités masculines d’aujourd’hui, les difficultés rencontrées, la diversité de ces identités, leurs références et leurs vécus. Et puis l’emprise du patriarcat sur leurs vies et leurs comportements apparaitrait davantage au grand jour, comme un poids dont tout le monde aurait intérêt à se délester.