Ce que j’entends des élèves de collège ou de lycée lorsque j’interviens pour animer un débat sur le sexisme ou les inégalités entre les sexes me renvoie en permanence à notre responsabilité individuelle, quel que soit notre âge. Lundi et mardi derniers ont été deux occasions de les écouter, ces jeunes gens qui ont des choses à dire autant qu’à vivre. L’éternel débat se met en place, après un moment de décodage de la pièce de théâtre sur laquelle s’appuie l’échange avec et entre les élèves. Il y a toujours celles et ceux qui s’accommodent (des filles en particulier) de la situation : “Mais, m’dame, que voulez-vous qu’on fasse ? C’est comme ça et puis c’est tout. On peut rien y faire.” Et puis les autres. Cette semaine, une jeune femme s’est exclamée : “Mais en fait, on juge tout le temps sans connaître !!” La prise de conscience opérait…

Une autre s’est indignée : ” Tu peux changer ce que tu dis, ce que tu fais, arrêter de juger les autres… Et puis chez moi c’est pas comme ça. Les femmes travaillent. Elles ne font pas tout. Les hommes les respectent… Aujourd’hui c’est possible.” Et puis il y a cette occasion saisie par les élèves de recevoir des réponses à leurs interrogations, de dire leurs malaises. Un jeune homme a demandé “Madame, c’est quoi l’homophobie ? On entend ce mot tout le temps, mais je ne sais pas ce que c’est…. Moi ça me gêne deux garçons ensemble, ça me fait quelque chose dans mon corps qui me fait mal, ça me dégoûte, alors qu’entre filles, ça ne me dérange pas du tout.” J’avais eu l’année dernière une demande d’explication d’un lycéen sur l’excision. Tout le groupe était d’un calme olympien pendant les explications. Une empathie pour ces jeunes filles concernées s’est même fait sentir, à travers différentes grimaces et quelques gesticulations sur les chaises… Je réponds aux questions et en profite pour apprendre aussi beaucoup de ces échanges, sur les rituels, les codes, le vocabulaire (“je taille la fille qui se met en jupe“), les croyances présentes au sein des différents établissements. J’ai appris mardi qu’un garçon qui séduit de nombreuses filles s’appelle “un chien“, mais qu’être “un chien” est bien sûr valorisant, en tout cas nettement plus qu’une chienne si vous voyez ce que je veux dire… Il y a celles et ceux qui s’engagent à la fin de la séquence à modifier leur comportement, prenant conscience de la souffrance infligée aux personnes jugées et rejetées sur leurs choix vestimentaires. Une jeune femme : “Madame, en tout cas, moi j’ai compris. Je ne traiterai plus jamais de pute une fille qui porte une jupe.” Il y a celles et ceux qui décortiquent, cherchent des explications : “Mais, madame, les jupes, c’est ouvert, et les pantalons, c’est fermé. Alors bien sûr, ça ne veut pas dire la même chose quand on porte une jupe ou un pantalon.” Tous ces échanges me conduisent chaque fois à la même conclusion : le besoin d’échanger sur ces questions, de connaître, de comprendre nos rapports sociaux est très important chez les enfants et les jeunes. Pourtant, ont-ils/elles souvent l’occasion d’en parler ? De poser leurs questions ? A qui ? Une proche me disait qu’une copine de sa fille (5ème) a eu ses règles sans savoir ce que c’était (collège très huppé de la région parisienne…). La seule information qu’elle avait eue était de sa mère “un jour, il y aura du rouge sur ta culotte, il faudra que tu mettes ça dedans” (des serviettes hygiéniques). Pas de questions. Pas de réponses. Pas d’éducation à la sexualité dans les classes à cet âge… Et si tout cela était partagé avant ?

C’est vers 8 ans, en CE2, que mes deux plus grandes filles ont commencé à vivre et à s’indigner par elles-même du sexisme ordinaire des cours de récréation, en CM1 qu’elles ont commencé à le voir dans la publicité. “Maman, les garçons ont empêché ma copine de jouer au foot, parce que c’est pas pour les filles. Moi je suis allée les voir et je leur ai dit que toutes les activités étaient pour tout le monde, et que s’ils continuaient, il faudrait qu’ils discutent avec toi, parce que t’allais savoir leur expliquer tout ça (CE2). Et ma copine a joué au foot.” Ou encore : “Maman, je viens de voir une pub à la télé, je crois qu’elle est sexuelle…(CM1)” Sa sœur (collège) “Sexiste tu veux dire ?” “Oui, c’est pour un produit (pour la marque CIF) et il n’y a que la dame déguisée en chevalier qui fait bien le ménage, les hommes n’y arrivent pas.” J’en avais les larmes aux yeux… Avec leur père, nous avons aussi le privilège de connaître des anecdotes concernant les propos des adultes, les réactions des élèves. Cela commence toujours par “Maman, il s’est passé un truc aujourd’hui… tu vas pas être contente !” “Et toi, t’étais contente ou pas ?” Et cela se termine encore par : “Ben, j’sais pas… Tu sais je suis la seule que ça choque. Les autres ne réagissent pas. On me regarde bizarrement. Personne d’autre n’est élevé comme moi.” Et dire que le conformisme est une étape nécessaire de l’adolescence… J’attends l’effet boomerang sans impatience. Mais je sais, optimiste, qu’après la prise de conscience et l’indignation, viennent les capacités d’argumentation et de conviction. Et pour cela, je suis impatiente.

Violaine Dutrop