L’exposition santé présentée en mai 2014 à deux classes de lycée professionnel
L’exposition d’EgaliGone intitulée Effets de la socialisation différenciée : l’exemple de la mise en danger de soi a été présentée a été inaugurée le 24 mai dernier à l’Ecole Santé Social Sud-Est. A cette occasion, Karine Bertrand, enseignante en Français-Histoire en lycée professionnel, a apporté son témoignage à propos de la présentation de cette ressource – un peu rapide en cette fin d’année chargée – à ses élèves la semaine précédente.
Elle partage avec nous, mais par écrit cette fois, les moments-clés vécus avec ses élèves autour de cette exposition. Il s’avère en particulier, comme nous l’avons précisé lors de l’inauguration, qu’une préparation avec les élèves est essentielle pour ouvrir le dialogue et élargir les regards sur les thèmes abordés.
“L’exposition, présentée dans une salle du CDI, a été testée au mois de Mai 2014, auprès d’élèves de seconde et de terminale professionnelles de classes mixtes, ce qui est suffisamment rare en lycée professionnel pour être signalé, l’orientation étant dans ces établissements plus sexuée qu’ailleurs. Les élèves des deux classes n’avaient pas été préparé-e-s de la même manière et l’exploitation de l’exposition a évidemment été différente.
Le temps dont les élèves disposaient pour la découverte de l’exposition proprement dite avait été évalué à une vingtaine de minutes. Puis devait suivre durant une trentaine de minutes la mise en commun des éléments retenus et de leurs réactions face aux informations. Dans la réalité, le déroulement a été plus souple : comme l’effectif était réduit (plusieurs groupes de douze) et que la salle d’exposition était peu spacieuse, les élèves avaient l’autorisation d’émettre des remarques et de réagir à celles des autres, sans pour autant laisser la discussion prendre le pas sur la découverte de l’exposition elle-même.
Le guide d’accompagnement proposait deux parcours de lecture ; la douzaine d’élèves était donc répartie en deux sous-groupes, chacun en empruntant un différent, de manière à ne pas créer d’attroupement devant les panneaux. Une connaissance approfondie du contenu de l’exposition par l’enseignant-e me semble essentielle : les élèves ont par exemple des questions, sur la lecture des chiffres ou sur le sens des mots, auxquelles il est fondamental de savoir répondre pour rendre la démarche crédible et l’exposition intéressante.
Les élèves ont ensuite été réuni-e-s afin de permettre un retour et une mise en commun des informations délivrées par l’exposition. Certain-e-s ont tenu à faire part de leurs expériences personnelles de prise ou de comportement à risque. Cette phase a été un moment émotionnellement assez fort pour toutes les personnes présentes, et je profite de ce moment d’écriture pour remercier mes élèves de leur confiance et de leur coopération. Il fallait ensuite dépasser l’expérience personnelle pour atteindre l’objectif que s’était fixé l’exposition : montrer que ces différences entre les filles et les garçons résultent de constructions sociales. En en prenant conscience, il est alors possible d’agir sur elles, de les déconstruire pour éventuellement en construire de nouvelles, plus respectueuses de la liberté de chacun-e.
D’emblée, pour l’ensemble des jeunes, les choix esthétiques ont plu : les élèves ont été attiré-e-s par les illustrations, ce qui les a, à des degrés divers, amené-e-s aux textes. Les deux premiers panneaux qui constituent l’introduction et qui posent quelques concepts ne sont pas parvenus à convaincre les plus récalcitrant-e-s à la lecture. Cette phase, pour de petit-e-s lect-eur/rice-s, peut sans doute être assurée par la présentation orale d’un-e adulte, qui maitriserait ces notions et qui pourrait utiliser d’autres supports. C’est à partir de la troisième affiche que l’intérêt des élèves a réellement été capté, dès que l’exposition aborde, chiffres à l’appui, les aspects concrets de la prise de risques.
La classe qui a exprimé le plus de réactions et de remarques est la classe de terminale, qui avait déjà été amenée à réfléchir longuement sur les stéréotypes de sexe grâce à la préparation des Olympes de la Parole – leur participation à ce concours n’a pas été finalisée pour des contraintes de stages professionnels à effectuer par les élèves à des dates concomitantes à celles du concours – et par le bais de multiples supports (articles, documentaires, écriture théâtrale, …). Les élèves avaient donc dépassé depuis un certain temps le premier stade qui consiste à refuser de trouver d’autres causes que « bah c’est pa’ce que c’est une fille/ un garçon ! ». Certains chiffres ont ainsi été contestés : les filles affirmaient que leur consommation d’alcool était désormais égale à celle des garçons. Elles en profitèrent pour signaler les remarques négatives, qu’elles jugeaient déplacées, des garçons à cet égard et auxquels elles avaient coutume de répondre, selon leurs dires, par la réciprocité : « Parce que tu crois que c’est beau, un garçon saoul ? ». Une autre contestation, plus étonnante, a été émise contre le nombre de garçons au régime : un élève pensait qu’ils étaient plus nombreux que les chiffres ne le montraient. En effet, quand les garçons souhaitaient augmenter leur masse musculaire, ils mangeaient davantage de protéines : « C’est bien une sorte de régime, non ? ».
La quasi-totalité de mes élèves de seconde professionnelle au contraire, peu armé-e-s pour saisir les enjeux de cette question des stéréotypes, ont eu beaucoup de mal à sortir de ce qui leur apparaissait comme une évidence : « une fille et un garçon, c’est pas pareil ! » et à approfondir la réflexion. Il aurait été intéressant de vérifier quelques jours plus tard si l’idée de causes, socialement construites, de ces différences filles-garçons face à la prise de risques avait pu être envisagée par ces élèves. Pour des raisons de calendrier, l’année scolaire se terminant, ce retour sur l’exposition n’a malheureusement pas pu avoir lieu.
L’expérience a montré qu’il est plus pertinent de commencer à aborder les stéréotypes de sexe avant la présentation de cette exposition. Quelques séances de réflexion autour de ces notions permettent à l’exposition d’être exploitée plus profondément. La différence a en effet été nette entre les classes qui avaient été préparées à cette problématique et les autres.
L’exposition a également été ouverte dans le cadre de ce test à des collègues enseignantes et à quelques élèves de lycée général choisies pour leur curiosité intellectuelle par une documentaliste. Ce qui a été lu a bousculé les adultes, y compris les collègues de la section Bac assistance-service-soin à la personne (ASSP) qui vivent pourtant au quotidien les différences sexuées avec l’assignation des femmes au care (98 % des jeunes d’ASSP sont des filles). L’exposition nous a permis d’avoir entre collègues des échanges inhabituels sur le plan thématique. Le point qui a été noté et apprécié de toutes, enseignantes comme élèves (seules des personnes de sexe féminin ont pris le temps d’aller voir l’exposition), est l’attention portée de manière égale aux deux sexes (la peur récurrente en effet dès que le sujet de l’égalité filles-garçons est abordé est que seules les filles soient mises à l’honneur, appréhension qui ne cesse personnellement de m’étonner au vu de la situation des femmes et des filles dans le monde…). L’exposition reflète en cela la raison d’être de l’institut Egaligone incarnée dans sa fameuse formule : « fille ou garçon, des stéréotypes en moins, des choix en plus ». Cette exposition montre en effet que les deux sexes sont conditionnés par les attentes sociales, y compris sur la question du risque, et que le prix de cette pression exercée sur tous les individus, notamment les jeunes, peut être le prix de la vie.
Une exposition comme celle qu’a conçue l’institut Egaligone, aussi exigeante sur le fond que sur la forme, est à mon sens un formidable outil de réflexion sur les bienfaits de l’égalité des sexes, pour les adultes comme pour les adolescent-e-s. Le biais de la prise de risque est judicieux car il permet de concrétiser le poids des attentes sociales sur les jeunes, filles comme garçons, et il fait l’unanimité sur le caractère dommageable des conséquences de ces attentes : qui ne déplore pas la mort d’une jeune personne sur la route ou les drames de l’anorexie ?
L’exposition nécessite cependant un accompagnement des élèves avant, pendant et après sa visite. L’enseignant-e qui s’en saisit doit être convaincu-e de la nécessité à une éducation à l’égalité et ne peut pas faire l’économie de temps de préparation des séances qui seront consacrées à la question des stéréotypes. Heureusement, le dossier d’accompagnement est à la hauteur de l’exposition et offre une grande diversité d’activités.
Karine Bertrand
Professeure de lettres-histoire en lycée professionnel”
Lien vers le compte-rendu de l’événement
Lien vers la vidéo de l’événement
Lien vers le témoignage de Marilyne Uliana, lycée Rosa Parks