De la mixité et de la parité en tennis (2ème partie)
Cet article fait suite à la partie 1.
Quelle est la place des femmes dans le monde du tennis ? Pour commencer par le positif, remarquons que c’est un sport plutôt mixte et paritaire par rapport à d’autres. D’une part parce qu’il existe justement des épreuves mixtes, quoique faiblement mises en valeur et peu nombreuses (les tournois du Grand Chelem, la Hopman Cup et certaines éditions de Jeux olympiques). Ensuite car il y a une égalité salariale dans les tournois du Grand Chelem, depuis 1973 à l’US Open (la même année, donc, que le duel King-Riggs) mais seulement depuis 2000 à Melbourne et… 2007 à Roland-Garros et Wimbledon. En 2014, dans le classement des 100 sportifs les mieux payés, les trois seules femmes qui y figuraient étaient des championnes de tennis : Maria Sharapova, Li Na et Serena Williams. Le tennis est-il pour autant exemplaire ? Par rapport à de nombreux sports, oui. Dans l’absolu, non !
A haut niveau, l’existence de deux associations, ATP pour les hommes et WTA pour les femmes, est à la fois un atout et une faiblesse pour les joueuses. L’indépendance de la WTA permet de défendre les intérêts du tennis féminin, sans avoir à subir d’éventuelles décisions paternalistes d’une association unifiée. Mais les joueuses peuvent plus difficilement rivaliser avec le tennis masculin d’un point de vue médiatique (avec des conséquences en termes de recettes pour les droits de diffusion). Or, le constat est clair : les hommes bénéficient d’une bien meilleure couverture médiatique que les femmes, et rien n’est fait pour équilibrer cela. Prenons l’exemple de Roland-Garros 2015 : lors de la première semaine, France Télévision commençait sa diffusion vers 15h alors que les matchs commençaient à 11h (avant, il fallait soit avoir Eurosport soit s’orienter vers le site web de France TV). Et que programmait le tournoi pour les premiers matchs du jour sur les grands courts ? Des matchs féminins, évidemment ! Exit la visibilité paritaire ! Remarquons que l’écart peut également varier selon un critère chauvin : comme les diffusions privilégient aussi les Français sur les étrangers, cette année a été encore plus favorable aux hommes puisque cinq Français étaient en 1/8 de finale contre une seule Française (dans les années 2000, c’était plutôt le contraire du point de vue des résultats, ce qui atténuait légèrement le déséquilibre en termes de retransmission).
Au-delà de la quantité, l’inégalité vient aussi du traitement différencié qu’on nous propose, notamment sur la question des tenues. Sur ce point, les sports collectifs comme le football ou le handball sont plus évolués que le tennis : pourquoi les tenniswomen sont-elles en jupe ? Que ce soit une tenue possible, au choix de chacune, pourquoi pas. Mais pourquoi cette tyrannie de la jupe imposée ou quasi imposée (les règles étant plus ou moins strictes selon les époques et selon les compétitions). Entre parenthèses : n’y a-t-il pas un certain cynisme à voir se développer des tournois féminins dans des lieux comme Doha, Dubaï ou Kuala Lumpur, donc dans des pays où les femmes ne sont pas libres de porter les habits qu’elles souhaitent ? Il n’y a guère eu d’évolution depuis la tentative controversée d’Anne White, arrivée à Wimbledon en 1985 dans une étonnante combinaison une pièce en élasthanne. Ou depuis le cas encore trop rare de Martina Navratilova, qui avait fini par adopter le short comme ses homologues masculins. L’évolution a même été plutôt dans le sens inverse : au fur et à mesure que le tennis féminin gagnait en médiatisation, le caractère potentiellement sexy des joueuses a été mis en avant comme un des intérêts majeurs de ce tennis, comme une façon de compenser le manque de puissance des femmes par rapports aux hommes ! Notons au passage que tout le monde ne s’accorde pas sur le fait que la puissance soit un atout pour l’attractivité du tennis masculin : quelqu’un comme le Roumain Ion Tiriac, ancien champion des années 70, milite depuis des années pour que les balles soient plus grosses afin de ralentir le jeu et favoriser la technique !
Pour en revenir aux jupes, notons deux éléments symboliques de la situation : d’une part, lorsqu’elles sont à l’entraînement, les joueuses professionnelles optent plutôt pour le short ou le pantalon de survêtement ; d’autre part, au niveau amateur, les joueuses ne sont qu’une minorité à jouer en jupe. Chez les dames, donc, la beauté et la silhouette sont des critères de réussite médiatique, bien plus que les performances. Un exemple flagrant : Anna Kournikova n’a été « que » 8ème mondiale et n’a jamais gagné de titre en simple sur le circuit principal, mais elle reste l’une des joueuses les plus connues au monde (même une décennie après sa retraite sportive) grâce à sa plastique de rêve ! Notons toutefois qu’elle a fait partie des joueuses qui ont adopté de temps en temps le port du short. Autre exemple moins notoire mais plus récent : la Française Alizé Lim, qui n’a encore jamais dépassé la 135ème place mondiale depuis le début de sa carrière professionnelle en 2010, suscite une certaine admiration, elle aussi grâce à son physique, au point de se voir proposer un contrat par la marque Le Coq Sportif malgré des performances très très modestes. De nos jours, les tenues des joueuses sont de plus en plus commentées et photographiés, au point d’apparaître comme un sujet de mode plutôt que de sport. Ce n’est pas un hasard si la styliste Stella McCartney a créé en 2015 des tenues de tennis pour Adidas, qu’ont par exemple portées Caroline Wozniacki, Maria Kirilenko ou encore Garbine Muguruza – joueuses souvent citées parmi les plus belles du circuit. Et d’autres ont posé nues pour des photographes, telles Agnieszka Radwanska, Daniela Hantuchova, Vera Zvonareva ou encore la modeste joueuse serbe Karolina Jovanovic, qui est plus connue pour avoir fait la couverture de « Playboy » que pour ses résultats tennistiques !
Le problème n’est pas tant l’apologie du physique que le traitement qui en est fait. A priori, il n’y a rien de problématique, dans le cadre d’un divertissement (le sport en est un), à rechercher l’esthétisme et donc une certaine grâce physique. Après tout, en tant qu’homme hétérosexuel, j’avoue que je préfère (ou préférais) regarder jouer Ana Ivanovic ou Tatiana Golovin plutôt que Serena Williams ou Arantxa Sanchez, et la beauté physique des deux premières participe à cette différence d’appréciation. Mais, pour ma part, ça ne peut être un critère unique. Inversement, je peux heureusement trouver d’autres exemples de joueuses pour lesquelles je n’ai pas d’attirance physique et dont le jeu m’intéresse, comme Steffi Graf, Amélie Mauresmo ou Francesca Schiavone. En fait, le principal problème vient de la différence avec laquelle sont considérés les femmes et les hommes, et de ce que ça implique en termes de mentalités, conscientes ou inconscientes. J’ai un souvenir personnel bien précis de cette différence. Durant ma jeunesse, j’étais abonné à « Tennis Magazine » et voilà que ce média titillait mes hormones adolescentes à travers le traitement réservé aux joueuses dans le choix de certaines photographies ! En 1993, Marie Joe Fernandez atteignait la finale de Roland-Garros et jouait un match d’anthologie en 1/4 de finale contre Gabriela Sabatini – une victoire après avoir été menée 6/1, 5/1 et sauvé 5 balles de match ! Mais « Tennis Magazine » avait également retenu un détail « original » de son parcours : une photo en gros plan de sa petite culotte à frou-frou visible sous sa jupe ! Ce genre de traitement des joueuses comme objet de désir est assez courant et a forcément une influence sur la façon dont on regarde le tennis féminin. Je suis personnellement conscient de ça, mais combien de spectateurs intègrent cette différenciation médiatique ainsi que les conséquences sur leurs comportements ou leurs propos ?
Cette inégalité vestimentaire peut même être remarquée chez les ramasseurs et ramasseuses de balles… avec une grosse régression lors de Roland-Garros 2015 ! La différence a souvent été relativement discrète par le passé, notamment grâce à des hauts identiques. Mais cette année, ces jeunes (de 12 à 16 ans, rappelons-le) n’étaient franchement pas logés à la même enseigne. Pour les garçons, la tenue ressemblait à celles des arbitres de foot : totalement noires, t-shirt ample, short jusqu’aux genoux, chaussettes hautes. Mais pour les filles, c’était une autre histoire : haut plus moulant et de type débardeur, jupettes arrivant à mi-cuisse, et chaussettes hautes et rayées noires et blanches. Pour être franc, en allant voir la compétition cette année, je n’ai pas saisi immédiatement cette différence mais, quoique mitraillant avant tout les joueurs et joueuses, j’avais tendance à prendre en photo plus de ramasseuses que de ramasseurs ! Quand je m’en suis rendu compte, j’ai analysé mes photos et le constat était simple : l’intérêt graphique était manifeste chez les filles, dont la tenue pouvait rappeler les dessins d’écolières dans les mangas japonais, alors que les habits tristes et sobres des garçons avaient peu de portée esthétique. Le résultat était clairement inégal : totalement asexué pour les garçons, érotisé pour les filles ! Après coup, j’étais donc assez gêné d’avoir photographié plus de filles, et plutôt en colère de m’être inconsciemment fait piéger !
Parfois, les tenues des hommes sont elles aussi commentées, mais ce n’est généralement pas pour leur sex-appeal : citons les polémiques vestimentaires sur les tenues extravagantes d’André Agassi au début des années 90, ou sur la faute de goût de la tenue « pyjama » de Stanislas Wawrinka cette année. Et pourquoi ne pas les traiter comme les femmes ? Même en tant qu’homme hétérosexuel, je ne comprends pas pourquoi on ne commenterait pas plus l’attractivité physique de joueurs tels que Benoît Paire, Tomas Berdych, Jérémy Chardy, Fabio Fognini, Feliciano Lopez et autres Grigor Dimitrov. Tant qu’à faire, les enjeux d’égalité et les intérêts du divertissement peuvent peut-être faire bon ménage avec une double évolution : mettre mieux en valeur les qualités strictement sportives et techniques des femmes, et les atouts purement physiques et esthétiques des hommes !
Raphaël Jullien