L’IDÉAL de Frédéric Beigbeder Avec Gaspard Proust, Audrey Fleurot, Jonathan Lambert, Anamaria Vartolomei, Camille Rowe, Olivier Broche, Anthony Sonigo, Jérôme Niel, Alexeï Gouskov… Sortie le 15 juin 2016

Octave Parango (le concepteur-rédacteur de “99 francs”) s’est exilé en Russie où il est devenu « model scoutIDEAL», c’est-à-dire dénicheur de mannequins, pour le compte d’un oligarque. Une grande firme française de cosmétiques, L’Idéal, fait appel à lui pour gérer un scandale médiatique d’ampleur internationale : il a une semaine pour trouver une perle rare destinée à devenir la nouvelle égérie qui rehaussera drastiquement l’image de la marque…

Tout est dans le slogan du film : « La beauté, c’est parfois moche »

Pour son deuxième long métrage comme réalisateur après “L’amour dure trois ans”, Frédéric Beigbeder s’attelle à nouveau à une adaptation d’un de ses romans [soit] “Au secours pardon”, la suite de “99 francs” […]. Expert des dérives de la société de consommation, il dresse ainsi un panorama pertinent d’un monde dominé par le cynisme, l’outrance et la mégalomanie (avec pour climax les fêtes de l’oligarque russe).

L’écrivain-réalisateur ne crache pas sur les vulgarités, de la nudité à la drogue en passant par le bling-bling sous toutes ses formes. De temps à autre, on peut se demander s’il ne reste pas en partie fasciné par ce qu’il dénonce, un peu à la manière d’un réalisateur antimilitariste qui prendrait plaisir à filmer des scènes de guerre. C’est toute l’ambiguïté d’un propos cinématographique qui se veut plus ou moins engagé : comment filmer ce qu’on critique en le montrant ? Le syndrome de Stockholm artistique, en quelque sorte. Néanmoins, le discours est plutôt constant, tant dans les répliques que dans la façon dont sont traités les personnages, montrés comme des êtres avides et sans morale. L’un des principaux points forts réside dans la parodie acérée de L’Oréal, dévoilant efficacement les stratégies d’une telle multinationale, notamment à propos du story-telling et de l’auto-dépendance publicité/médias. […]

Beigbeder est peut-être un poil plus ambigu sur la question du féminisme. S’il juge de façon corrosive la façon dont sont traitées à la fois les mannequins et les consommatrices de cosmétiques, il semble aussi prendre un malin plaisir à filmer de belles jeunes femmes plus ou moins dénudées. Quant au choix de Jonathan Lambert dans le rôle de Carine Wang, la directrice de L’Idéal, on peut se demander s’il ne révèle pas une forme de stéréotype hormonal qui voudrait que les femmes de pouvoir sont testostéronées, d’autant que le personnage d’Audrey Fleurot (l’autre femme forte du film) tombe lui aussi dans un double cliché possible : elle est froide et lesbienne, donc tient tête aux hommes (à moins que le rapport de cause à effet ne soit l’inverse, on ne sait plus trop avec les stéréotypes !). Mais d’autres aspects peuvent laisser penser qu’il y a au contraire, de la part de l’auteur, une volonté délibérée de se moquer des poncifs, par exemple lorsqu’il fait dire à Wang/Lambert (donc ironiquement) : « On n’a pas le même regard que vous, les hommes ». Ou quand il convoque (sans les nommer) les Pussy Riot puis les Femen pour bousculer le système, faisant ainsi dire à Octave, symbole d’un patriarcat chancelant : « C’est douloureux le féminisme ! » […]

Raphaël Jullien

Critique complète sur le site Abus de ciné : http://www.abusdecine.com/critique/l-ideal