Et si dès le plus jeune âge, nous aidions nos garçons autant que nos filles à s’imaginer peut-être parents un jour ?

Ce texte a été également publié le 30 avril 2020 sous le titre 2016, Paternité, mot nouveau, parmi divers témoignages et prises de position sur le partage des responsabilités parentales, dans le blog personnel “A propos de tout et jamais de rien”

Par Violaine Dutrop

Image extraite du site des Francas 69

Tu arrives, préparée, dans la salle d’animation. Le groupe est mixte, cela arrive parfois en formation au BAFA. Autant d’hommes que de femmes. Et plusieurs tranches d’âge. Certaines personnes sont étudiantes, d’autres dans les métiers de l’animation depuis plusieurs années. Tu n’as qu’une heure trente pour les sensibiliser aux questions de genre, pour leur montrer comment nous reproduisons sans crier gare une éducation sexiste, le plus souvent par manque de recul sur nous-mêmes et sur notre propre éducation, celle que nous avons reçue. Leur proposer quelques pistes pour détecter les situations problématiques. Formuler l’ambition, légitimer le sujet, susciter des réflexes d’analyse de ses pratiques. Relier cette ambition avec les valeurs défendues dans l’animation socio-culturelle, comme le développement de tout type de capacités, la tolérance, l’autonomie et la liberté par le détachement des conditionnements sociaux.

Tu décides de finir ton intervention par une petite expérience avant le déjeuner. « Revenez en arrière, lors de votre orientation scolaire puis professionnelle. Lorsque vous avez envisagé tel ou tel métier, vos études, votre vie professionnelle future, qui d’entre vous a pensé à la compatibilité de ce choix avec une éventuelle vie de famille… ? Levez la main, les personnes qui se sont projetées avec des enfants dès cette période-là, que cela vous ait influencé·e ou non ? » Quasiment toutes les filles présentes lèvent la main, et peut-être un garçon. Les autres les regardent, visiblement étonnés. Pas de surprise de ton côté. Un petit échange s’ensuit entre les personnes du groupe. «  Bien sûr, c’est vrai… je ne pouvais pas choisir n’importe quel métier. Il fallait que le lycée soit près de chez moi. Et puis que ce soit soit faisable… enfin je veux dire avec de la place pour une vie personnelle. Familiale. » « Ah bon ? Mais tu avais moins de choix alors ! » Un participant se tait, manifestement perturbé. Son regard est clair, son attitude réservée ; il est étudiant en STAPS, amateur de sport donc, domaine où à peine plus d’un quart des effectifs sont des étudiantes à Lyon 1… Un temps de digestion est apparemment nécessaire…

Fin de séquence et commande rapide d’un repas partagé à deux pas. Il est en face de toi, regard un peu dans le vide. Tu le questionnes. Confidences sur les effets de ton intervention, et plus particulièrement de ta petite expérience. Il s’interroge tout haut. «  Comment ont-elles pu se restreindre dans leurs choix, juste au cas où un jour elles auraient une famille ? Moi je n’ai jamais pensé à ça. J’aurais pu. Peut-être dû. En tout cas, ça ne m’est jamais venu à l’esprit. D’ailleurs je n’ai pas envisagé jusqu’à présent que je serai père un jour. Et ça me fait drôle, limite flipper, que s’imaginer parent un jour conditionne et limite les choix des gens. Enfin… surtout des filles et des femmes. »

Tu es satisfaite d’avoir provoqué une prise de conscience, fût-elle vécue par un seul homme. Car les projections de nombreuses jeunes femmes dans une vie de mère multitâches, comme les restrictions qui l’accompagnent, viennent des modèles qu’on leur rabâche.


« Les mères de famille gèrent donc plusieurs emplois du temps à la fois : celui du bureau, celui des enfants, celui de la famille et, quand elles y arrivent, le leur, prenant après tout le monde leurs propres rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le coiffeur, etc. La vraie révolution aura lieu lorsque les hommes partageront cette charge mentale, en plus des tâches domestiques. »

Ivan Jablonka, Les hommes justes