Réflexions pour la conception des futures toilettes dans une école primaire associative laïque en contrat avec l’Education Nationale

Par Cécile Demonsant, parent et ex-membre d’EgaliGone


Constat

Actuellement l’espace WC du Jardin d’Enfants (petite + moyenne section) est composé de 2 WC et de 2 pots, sans possibilité de se cacher du regard des autres, sauf en demandant de fermer la porte, ce qui pose problème en cas d’urgence ou de grosse affluence.

Réflexion

Les toilettes en école préélémentaire, et en collectivité en général, sont le lieu de beaucoup d’enjeux d’importance pour nos enfants.

Ils servent à répondre à un besoin physiologique, donc forcément individuel, mais leur configuration provoque également d’autres types d’apprentissage, comme la découverte du corps des autres, et comment ces autres, ils et elles, répondent à ce même besoin. Beaucoup d’enfants y découvrent donc l’anatomie d’autres personnes, les filles celle des garçons, les garçons celle des filles. Cette découverte s’accompagne naturellement de questionnements, de curiosité, verbalisés ou non, qui donnent lieu à des expérimentations physiques (le fameux touche-pipi). Et ces situations sont souvent sous-tendues de la notion naissante de pudeur, la perception tacite d’un tabou fait d’interdits et de parties du corps que l’on ne nomme, souvent, que de façon détournée (traditionnellement zizi, kiki, zézette, etc.).

Les avis des psychologues sont partagés sur la frontière entre le jeu de découverte et la question du consentement (cf. pistes à suivre). Pour ma part, j’ai toujours tenté d’enseigner à mon enfant que son corps lui appartient et que personne ne peut le toucher si elle n’est pas d’accord, ni le regarder si cela la gêne. Mes réflexions concernant la configuration et l’utilisation des toilettes au jardin d’enfants partent donc du constat que le lieu ne me semble ni propice à l’apprentissage de l’intimité, du respect des limites des autres, ni à la notion de consentement (puisque certain·es enfants ont subi de façon inattendue des gestes non souhaités, ou des propositions à enfreindre des limites individuelles).

À 3 ou 4 ans, les différents enjeux se rencontrent et complexifient la réflexion, qui d’après moi, n’en est pas moins nécessaire. La collectivité et le jeune âge des enfants supposent une surveillance adulte spécifique pour un accompagnement adapté aux gestes liés à l’acquisition de la continence et à l’hygiène d’une part (s’essuyer, se laver les mains, tirer la chasse), pour que chacun·e puisse se sentir en sécurité d’autre part (sécurité physique et psycho-affective). Les toilettes du jardin d’enfants sont 2 WC séparés par une petite cloison (h80cmxl60cm) mais ouverts aux regards venant de la salle de classe ou des toilettes directement. Cette configuration ne permet pas l’accompagnement à la pudeur, et pose problème aux enfants chez qui elle apparaît ; en effet, 2 WC pour 27 enfants (tout juste maîtres·sses de leurs sphincters) ne permettent pas facilement de garantir à un·e enfant de s’isoler si besoin.

Dans les écoles en France, le manque d’intimité (allié à bien d’autres facteurs problématiques, voire inquiétants, telle que l’insalubrité et le manque d’équipements adaptés) dans les toilettes des écoles semble avoir des conséquences sérieuses sur la santé des élèves (cf. enjeu de santé publique). Ma connaissance de la situation dans l’école de mon enfant repose sur ce que je vois (les toilettes du jardin d’enfants) et ce que m’en dit ma fille ou sur les propos d’autres enfants/parents, et je suis incapable de me prononcer sur l’existence avérée de ce problème dans l’école. Il semble cependant que les autres toilettes de l’établissement permettent une intimité différente (lieu plus isolé d’un point de vue sensoriel et fermé visuellement).

Toujours est-il qu’il me semble pertinent de s’interroger sur les principes et valeurs à défendre lors de la conception des toilettes pour le projet de reconstruction des futurs locaux. Afin d’alimenter la réflexion, croisant les enjeux à plusieurs niveaux, j’aborde ci-dessous un ensemble de pistes à explorer, d’écueils à éviter et de notions à avoir en tête pour leur prochaine conception, en m’inspirant de lectures d’articles et documents divers relatant l’état des lieux des WC dans les établissements scolaires en France.


Questionnements en vue de la conception des futures toilettes au Chapoly

A – UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Comment éviter l’apparition de problèmes urinaires liée à l’utilisation des toilettes à l’école ?

  1. Infections urinaires causées par une trop grande rétention d’urine. Les filles surtout se retiennent d’uriner pour des raisons d’attente trop longue aux toilettes :
  2. trop peu de WC pour l’effectif ? (recommandations officielles différentes pour les enfants et pour les adultes)
  3. trop peu d’occasions ?
  4. équipement dissuadant (insalubrité, manque de papier, de poubelle, de porte-manteau) ?
  5. Manque d’intimité (cloisons basses ou inexistantes, portes fermant mal ou pas) ?

Dans de nombreuses écoles, certaines familles contournent le problème en inscrivant leurs enfants en demi-journées afin qu’ils et elles puissent aller aux toilettes à la maison. (Toutes vos questions sur les troubles urinaires, émission de radio Grand bien vous fasse, Ali Ribeihi, France Inter 23-11-2020:  https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-23-novembre-2020)

  • Problèmes de constipation aussi, allant parfois jusqu’à l’occlusion intestinale, causés par la rétention dans la journée :
  • par manque d’intimité ? (isolement sensoriel, sonore, visuel, nécessaire pour les enfants comme pour les adultes) Certain·es enfants demandent des ordonnances de leur médecin afin de pouvoir accéder aux toilettes de l’infirmerie de leur établissement scolaire et de bénéficier de l’intimité nécessaire.
  • Par manque d’équipement matériel ? (pas de quoi s’essuyer ; se laver ou s’essuyer les mains)
  • A cause de l’insalubrité des lieux ?

B – PRÉSERVATION DE L’INTIMITÉ / RESPECT DE LA PUDEUR

  • Comment préserver sans inquiéter, transmettre aux jeunes enfants sans anticiper les notions de pudeur, d’intimité, et de leur respect ?
  • Tenir compte du poids du regard des autres dans un moment d’intimité, importance de s’isoler physiquement, visuellement, « sensoriellement »

C – SÉCURITÉ PHYSIQUE ET AFFECTIVE

  • Argument de la surveillance des adultes pour le bon déroulement du passage aux toilettes pour les jeunes enfants (hygiène ? Respect du tour de rôle ? Accompagnement dans l’apprentissage ?)
  • Rôle de l’adulte dans la prévention et la protection : sensibiliser aux notions d’intimité/de pudeur (regard, toucher) Poser des interdits ?
  • Prévenir les situations d’abus ou de harcèlement (espionnage au-dessus de cloisons trop hautes ou trop basses, portes sans verrous ; risque d’un lieu clos sans la présence régulière de l’adulte)

D – SOCIALISATION DIFFÉRENCIÉE

  • Les toilettes sont des opérateurs de genre très puissants.

Cf. Les toilettes, là où trône le genre, de Sam Bourcier, Slate du11 juin 2014 http://www.slate.fr/story/88047/toilettes-genre)

Cf. Pourquoi sommes-nous autant attachés aux toilettes publiques séparées ?, https://www.huffingtonpost.fr/2016/04/26/toilettes-publiques-separees_n_9778538.html

  • Quel est l’intérêt d’une séparation filles/garçons ?

Ce qui est prouvé, c’est que genrer ces endroits incite à créer et accentuer des comportements différenciés entre filles et garçons : Ex. : les garçons n’ont pas accès à l’intimité avec les urinoirs ouverts, nombreux, accès debout et rapide, peu d’attention à la propreté, pas de papier à disposition, ni de savon, graffitis pornographiques ; quant aux filles, elles doivent apprendre à se cacher, s’organiser pour uriner assises sans salir ni se salir ni salir leurs vêtements, attendre car elles passent plus de temps aux WC pour moins de WC disponibles (et elles ont une vessie généralement plus petite, donc vont aux toilettes plus souvent).

  • Que véhiculent les symboles indiquant l’accès aux toilettes ?
    • Renvoi dans l’espace public à des stéréotypes culturels et ethno-centrés selon lesquels les femmes/filles devraient revêtir des robes/jupes (et peuvent /doivent changer les couches) et les hommes/garçons des pantalons
    • Les personnes à mobilité réduite, quant à elles, sont uniquement définies de par leur situation de handicap
    • Cf. Dans cette école, il y a 1 WC identifié de couleur rose (sous-entendu : pour les filles) et l’autre bleu (sous-entendu : pour les garçons). Quel message souhaitons-nous véhiculer/renforcer ?
  • Les équipements ne sont pas les mêmes chez les garçons et chez les filles :
    • les urinoirs hommes : position debout, sans déshabillage, gain de temps, pas de possibilité ou d’apprentissage/respect de l’intimité, pas de nécessité de s’essuyer ni de possibilité de jeter le papier ; moins de possibilité d’uriner assis ou à l’abri des regards.
    • les toilettes femmes : porte qui permet l’intimité visuelle, utilisation assise/semi-assise, après déshabillage sans possibilité de poser ses affaires, possibilité de s’essuyer, poubelle, temps d’attente lié au temps d’utilisation et au nombre plus réduit que les urinoirs masculins ; pas de possibilité d’uriner debout, rapidement, sans se déshabiller.
    • toilettes accessibles à PMR (Personnes à Mobilité Réduite) : stigmatisant et rarement de séparation filles / garçons.

Ressources sur les préconisations possibles

  • aspect santé et intimité :

https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/medecine/les-toilettes-scolaires

  • concept  des WC unisexe :
  • étude de l’école nationale de santé publique :

https://www.pseau.org/outils/ouvrages/ehesp_les_toilettes_a_l_ecole_une_question_de_sante_publique_2001.pdf


Pistes à suivre

Propositions faites pour les lycées par L’institut Egaligone :

Nos suggestions pour une Région favorisant l’égalité des sexes dans le milieu éducatif, novembre 2020, https://egaligone.org/2020/11/17/nos-suggestions-pour-une-region-favorisant-legalite-des-sexes-dans-le-milieu-educatif/

Extrait : « 3. Équipements des toilettes et vestiaires (réduction des violences et enjeu de santé publique)

Un diagnostic des lieux d’aisance et de ce qui s’y trame du point de vue du genre (travail universitaire à construire) et un travail d’accueil bienveillant et égalitaire (et banalisé) dans ces lieux ne seraient pas du luxe. Ils pourraient être :

. aménagés avec l’assurance d’une intimité non négociable dans tous les lieux d’aisance pour tous les sexes, donc lieux fermés de haut en bas, SANS urinoirs (ou alors dans des espaces individuels fermés mixtes, permettant que les femmes aussi fassent pipi debout si elles le souhaitent)

. correctement équipés, quel que soit le besoin ou le sexe de la personne qui s’y rend (poubelles, porte-manteaux, papier-toilettes, savon, serviettes hygiéniques, barre de soutien, miroir, distributeurs de pisse-debout)

. mixtes, donc accueillant les personnes sans remarques ni rejet quand leur genre est atypique,

. mixtes, donc permettant une fluidité dans l’usage donc une meilleure utilisation (aujourd’hui les filles y passent plus de temps que les garçons donc… elles attendent leur tour quand les toilettes ne sont pas mixtes, parce que leur équipement n’y est pas plus important, tandis que c’est libre chez les garçons).

. mixtes donc évitant de créer des espaces de socialisation masculins (qui conduisent à renforcer les normes de virilité – cf. les inscriptions créatives sexistes sur une partie des portes de WC -, et les malaises des garçons qui ne s’y reconnaissent pas) versus féminins

. idéalement éco-conçus

En outre, mieux équiper les établissements en casiers individuels (lutte contre les vols / baisse de la tension de la surveillance de ses effets personnels / baisse du poids des sacs). »

Article À nous les toilettes, un partenariat pour la recherche (Edith Maruejouls, mars 2021)

Étude et témoignages d’enfants sur l’usage des toilettes à l’école, soulignant de sérieux problèmes aux conséquences sanitaires certaines : https://www.larobe.org/post/a-nous-les-toilettes

Article “Mélanger les filles et les garçons a facilité l’accès aux toilettes”

Mesures appliquées par la ville de Léognan dans son collège : toilettes mixtes, intimité préservée : https://usbeketrica.com/fr/melanger-les-filles-et-les-garcons-a-facilite-l-acces-aux-toilettes


Suggestion personnelle pour l’utilisation des WC par les enfants du jardin d’enfants :

  • En cas de configuration similaire aux toilettes actuelles du Jardin d’Enfants, pourquoi ne pas ajouter des cloisons de part et d’autre de chaque WC, et les fermer par des rideaux (type rideaux de douche pour l’hygiène?) qui matérialiseraient la notion d’intimité et de limite qu’on a le droit de fixer (se cacher / se préserver des regards, ne pas être touché·e), qu’on décide ou non de les fermer.
  • Concernant le format de WC, il est recommandé par les pédiatres que les enfants urinant assis·es puissent poser fermement les pieds, avec les genoux en angle droit, afin de bien vidanger la vessie. Cela suppose des WC adaptés aux différentes tailles d’enfants ou bien des marchepieds stables et ergonomiques.
  • Concernant le confort, les abattants de WC pincent les cuisses des enfants qui doivent s’y hisser (ma fille craint d’avoir mal à chaque fois qu’elle les utilise). Là encore, un marchepied adapté aux différentes tailles pourrait probablement régler ce problème.

Autres ressources / pour aller plus loin

. Une association de parents pour « Des toilettes qui respectent intimité et santé des enfants »

https://budgetparticipatif.paris.fr/bp/jsp/site/Portal.jsp?page=idee&campagne=C&idee=1976

. Santé publique : rapport 2001 de la médecine de l’Éducation Nationale : https://www.pseau.org/outils/ouvrages/ehesp_les_toilettes_a_l_ecole_une_question_de_sante_publique_2001.pdf

. Intimité, découverte du corps, consentement :

. Egalité : Des toilettes pour plus d’égalité femmes-hommes dans le monde : https://ideas4development.org/acces-toilettes-egalite-femmes-hommes