Par Violaine Dutrop

Je viens enfin de lire l’excellent ouvrage de la géographe Edith Maruéjouls “Faire je(u) égal Penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants”. Son existence, sa pertinence et sa pédagogie m’ont enthousiasmée. Paru chez Double Ponctuation fin 2022, il a été réédité plusieurs fois depuis.

La géographe nous fait part de ses modalités d’interventions en milieu scolaire, des étapes de son travail et des constats qu’elle établit avec la contribution des élèves et des équipes éducatives. En mettant aussi en avant l’implication de toutes les parties prenantes, dont les équipes municipales, dans les solutions mises en œuvre pour repenser des espaces au service d’une mixité égalitaire, la géographe met à la portée de tout le monde l’éducation à l’égalité des sexes. Chemin faisant, dans un ouvrage facile à lire et plutôt court, illustré, grâce à une étude de cas, par des schémas produits tout au long de la démarche, elle partage sa manière concrète et progressive de faire réfléchir les enfants – et les équipes – à partir de leurs connaissances, de leurs usages et des règles partagées de vie à l’école. Elle montre pourquoi et comment créer une mixité réelle à l’école, mixité qu’il ne suffit pas de décréter pour faire exister. Car ce que nous construisons aujourd’hui quand nous n’y prenons pas garde, c’est une “relation filles-garçons, puis femmes-hommes, qui valide la classification, la séparation et la hiérarchie.” En effet, ce que l’immense majorité des garçons apprennent pour être reconnus comme tels, c’est à s’éloigner le plus possible de ce qui est considéré comme féminin, tandis que les filles reçoivent des injonctions de toutes part sur leur façon d’habiter leur corps. Eux s’astreignent en réalité, même si des adultes leur demandent le contraire, à ne pas se mélanger aux filles, parce que “c’est la honte”, témoignent les élèves. Le travail d’Edith Maruéjouls consiste à “casser cette hiérarchisation” dans les espaces où elle intervient. Y compris aux toilettes.

Je ne peux que la rejoindre tellement son approche fait écho à celle que j’ai également suivie dans mes interventions pendant des années en milieu éducatif. Demander aux enfants de dessiner leur cour de récréation et leurs déplacements est par exemple une étape-clé dans le processus de diagnostic et d’implication des élèves (j’ajouterais que le court-métrage Espace de Eléanor Gilbert est un excellent support pour convaincre des adultes de faire faire l’exercice à des enfants). Cela fournit des données précieuses sur les places des filles et des garçons et les relations entre les sexes. Interroger l’éducation différenciée à l’intimité et au rapport au corps également : qu’apprend-on quand les filles sont les cibles de règles vestimentaires qui les sexualisent ? Ou que garçons sont enjoints soudain à faire pipi debout et devant les autres, dans un entre-soi masculin, alors que rien de tout cela n’existe à leur domicile ? Dans un chapitre distinct dédié aux toilettes, Edith Maruéjouls partage les données intolérables des empêchements et des violences qui y sont subies par les filles comme par les garçons. Elle dénonce la logique de genre à l’œuvre dans l’aménagement de ces espaces et la non prise en compte de ce qui s’y joue comme conditions de la survenue de violences.

Quelques extraits choisis :

“Il faut interroger les injonctions sur la tenue vestimentaire des filles et la présence de miroirs dans les toilettes et, en parallèle, interroger la mise en scène de la virilité dans les toilettes des garçons.”

“Comment justifier des toilettes non mixtes ? Que signifie-t-on à un et une enfant de six ans quand on leur dit qu’ils ne peuvent pas se mélanger aux toilettes ?”

“Il est pertinent de poser comme postulat que le sentiment d’impunité et l’impunité sont les conditions à l’agression (…)”.

“Que faisons-nous, féministes, quand nous interrogeons les chiffres des violences ? Nous questionnons la construction d’une “condition” des hommes en miroir à “la condition” des femmes. (…) Les femmes ne naissent pas vulnérables et les hommes ne naissent pas violents.”

“Jouer ensemble, rire ensemble, manger ensemble, être ami·es entre filles et garçons est anecdotique. Dans aucune école étudiée, nous n’avons constaté la mixité dans les espaces publics scolaires comme fait majoritaire.  L’entre-soi est donc la norme en élémentaire, comme au collège plus tard.”

“Je le redis de nouveau : c’est bien l’absence de relation filles-garçons qui produit, construit, instaure le système de violences, les inégalités et les injustices.”

“L’égalité implique le partage, l’égale valeur et le mélange filles-garçons”.

Son propos est très efficace et il me semble très inspirant. Ce livre est à lire, à offrir, à recommander, et ses propositions sont assurément à mettre en œuvre. Il propose la mise en œuvre d’une mixité réfléchie, comme le chercheur Loïc Szerdahelyi l’a définie dans une interview récente sur son ouvrage Quelle égalité pour l’école ? : “Celle-ci ne promeut ni l’effacement ni l’exaltation des différences pour justifier l’égalité. Le projet n’est pas ici de nier les différences réelles ou supposées entre les filles et les garçons, ‘encore moins de leur faire allégeance, mais de les relativiser, de façon située dans le contexte précis où elles se manifestent, à l’intersection d’autres rapports de domination”.(…) L’égalité désigne alors un horizon qui reconnait les élèves comme des semblables par-delà leurs différences”.

Comme en témoignent, dans Faire je(u) égal, les élèves et les équipes éducatives qui ont participé à la démarche, la démarche de cette mixité réfléchie, qui part de l’accord des enfants sur la phrase “nous sommes différents mais égaux”, offre des pistes bénéfiques pour les enfants comme pour les adultes. Elle laisse augurer, par un travail concret et participatif sur l’égalité des droits dans la cour, d’une amélioration évidente du climat scolaire et du sentiment de sécurité à l’école, d’une diminution des violences et sans doute de la progression de l’égalité partout.